Arsène O'Mahony
Comte O'Mahony
1787-1858

Chevalier des ordres de Malte, du Phénix de Hohenlohe, des Saints-Maurice-et-Lazare, du Lys
Officier de cavalerie (1802-1817)
Un des plus brillants écrivains de la presse royaliste sous la Restauration1 (1818-1841)



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II.- La Plume : 1818-1841



« Il y a longtemps que les impies m'appellent un fanatique, les ministériels, un frondeur, les constitutionnels, un ultra, et les courtisans, un factieux. Embarrassé du choix entre tant de titres, j'en ai adpoté un autre que peu de gens m'envieront et que personne ne m'arrachera, c'est celui de catholique romain. » [Lettre à M. de Laurentie, 1828]




Arsène, vers 1825
miniature signée Bertrand (?)


« O'Mahony fut avec Karl Ludwig von Haller à la tête d'un cercle international influent d'ultras et joua un grand rôle dans la naissance de la presse politique.» (Albert Portmann-Tinguely dans le "Dictionnaire historique de la Suisse").

« Le comte O'Mahony a coopéré à la rédaction de tous les journaux royalistes et ultremondains de la Restauration, tels que le Conservateur, le Drapeau blanc, le Défenseur, les Annales de la littérature et des arts, les Lettres champenoises, le Mémorial catholique, etc. » ("La France Litteraire ou Dictionnaire Bibliographique" par J.-M. Querard).



Toute sa vie Arsène se montrera "toujours et partout fidèle" à ses convictions religieuses et politiques. La disgrâce de nature politique qui, du moins le pense-t-il, a mis un terme à sa carrière militaire, ne fera que renforcer son désaccord avec les idées de Louis XVIII et son soutien au comte d'Artois, plus tard Charles X.

Victor Hugo en parle dans Les Misérables quand il écrit :

"Messieurs Canuel, O'Mahony et de Chappedalaine esquissaient, un peu approuvés par Monsieur (futur Charles X) ce qui devait être appelé la conspiration du bord de l'eau".

Ce complot, visant à mettre le comte d'Artois sur le trône, fit grand bruit à l'époque. Il est dénoncé le 2 juillet 1818, plusieurs officiers royalistes en non-activité sont arrêtés, mais le Roi aurait fait étouffer le scandale et le 3 novembre un non-lieu est délivré contre les accusés. Edmond Biré, dans son "Année 1817" [Champion, 1895], écrit que Victor Hugo tranche ici une question singulièrement délicate : la Conspiration du bord de l'eau a-t-elle réellement existée ? C'est un des points les plus obscurs de l'histoire de la Restauration, et termine ainsi son étude : Une conclusion ressort invinciblement des faits : il est impossible d'admettre comme réelle et certaine la Conspiration du bord de l'eau. Il relève plusieurs erreurs dans ces quelques lignes d'Hugo, notamment le fait qu'Arsène ait été un des chefs du complot : O'Mahony ne figure dans aucun des articles de journaux qui s'occupèrent de cette affaire, et, ce qui est plus décisif, dans aucune des pièces de l'instruction : il n'est désigné nulle part comme ayant été mêlé au complot de près ou de loin. Cette crise eut néanmoins sur la vie politique des répercussions importantes parmi lesquelles le lancement du premier journal "ultra-royaliste", le Conservateur, dont Arsène devient l'un des tous premiers collaborateurs.


Le Conservateur 1818-1820

Le 30 septembre 1818, M. Le Normant, fils, écrit à Chateaubriand son intention de publier un ouvrage qui, sous le titre du Conservateur, paraitra à des époques indéterminées (de manière à échapper à la censure qui s'établissait sur les feuilles quotidiennes), et lui demande de bien vouloir, avec ses amis, concourir au succès de cette entreprise. Entre deux ministères, l'auteur du Génie du Christianisme donne une réponse favorable le 5 octobre suivant. Le Conservateur est né, créé pour être en opposition avec le journal libéral Le Minerve. Le premier numéro parait le 8 octobre, accompagné de la devise "le Roi, la Charte et les Honnêtes Gens".

Aux côtés de Chateaubriand et d'Arsène, on compte parmi les rédacteurs le vicomte de Castelbajac, le vicomte de Bonald, l'abbé de La Mennais, M. Fiévée, le marquis d'Herbouville, le cardinal de La Luzerne, etc. Le journal a cessé de paraître en mars 1820, afin de protester contre le projet de loi rétablissant la censure. Cette résolution fut annoncée aux souscripteurs par une lettre de Chateaubriand achevant la 78e et dernière livraison. Le journal connut un succès considérable du à la célébrité de ses rédacteurs. Lamartine en a dit : « La masse faisait la force, le génie faisait l'éclat. Jamais écrit périodique n'en eut davantage . »

Dans la rédaction du grave Conservateur, M. le comte O'Mahony avait mission de dérider les lecteurs et s'en acquittait de son mieux ; lorsque ce recueil, après une courte existence cessa de paraître, il ne cessa pas dans d'autres publications cléricales de lancer, comme dit M. Vuarin "le trait plaisant et ironique" [Revue chrétienne 1910 p202]. Arsène a ainsi signé des articles dans 17 numéros mais on lui en attribue aussi plusieurs autres anonymes. Les principaux sont :
En novembre 1818 prit fin l'occupation de 150 000 des armées anglaise, russe, prussienne et autrichienne, imposée par le traité de Paris signé le 20 novembre 1815, après la chute de Napoléon et le retour de Louis XVIII. Dans la collection de Vinck (Un siècle d'histoire de France par l'estampe, 1770-1870), la Bibliothèque nationale conserve une estampe (gravure à l'eau-forte coloriée) intitulée "Départ des Etrangers, autrement dit des Alliés ! Sermon du Père Aubri De Castel-fulgens (Chateaubriand ainsi nommé par le "Nain Jaune")." Cette estampe accompagnait la 13e livraison du Nouvel Homme gris, éphémérides politiques constitutionnelles de janvier 1819, accompagnée d'une note : "On distingue au nombre des auditeurs, le cardinal De laluzerne, Talleirand Prince de Bienauvent, L'abbé De La Mennais, MM. De fremilli, De Bonald, O Mahoni, De la Bourdonnaye, De Villèle, Marcellus etc,"


Un des auditeurs est Arsène O'Mahony ... reste à trouver lequel !
-cliquez sur l'image pour l'agrandir-


Le Conservateur est en ligne sur Gallica (voir ici).

Un article du Véridique de Gand (12 février 1819) nous apprend qu'à cette époque Arsène se donnait à sa passion du théâtre :

Les comédiens sociétaires du Conservateur continuent de donner des représentations qui ne sont pas aussi suivies qu'ils le disent, mais qui ne laissent pas que de réjouir quelques amis du bon vieux temps. Le comique de la troupe, M. le comte O'Mahony, s'était distingué dernièrement, en jouant dans la perfection un rôle de dénonciateur de comédies etc.




Le Drapeau blanc 1819-1830

Alphonse Martainville, qui avait rallié très tôt la cause des Bourbons, écrivit dans plusieurs journaux avant de fonder en janvier 1819 sa propre feuille, Le Drapeau blanc.

"M. O'Mahony s'y trouva naturellement placé, et n'étant plus soumis à la censure sévère d'un rédacteur en chef comme M. de Chateaubriand, il donna carrière à son goût de la pointe ; il défendit les mœurs par des épigrammes, et la religion par des quolibets, il se chargea d'une partie des insultes contre les libéraux".

Ce journal "date de la chute du ministère Decazes, au moment où les hommes du Conservateur se personnifièrent au pouvoir en la personne de M. de Villèle. Une scission alors éclata entre eux. Le gros du troupeau, comme c'est l'ordinaire, suivit son chef au pouvoir. L'autre parti, moindre, qu'on appela l'incorruptible, se releva avec le Drapeau blanc, qui avait pour rédacteurs, outre Martainville, Lamennais, de Haller, O'Mahony, Saint-Victor, etc. et fit au ministère Villèle une lutte implacable qui continua dans le Mémorial catholique."

En fait Lamennais ne les rejoignit que fin 1822, comme rédacteur en chef. Quelques mois avant, après avoir lu les Odes, et sachant que Victor Hugo ne ferait aucune demande aux journaux, il écrit à Saint-Victor (le 18 juin 1822) une lettre débutant ainsi : "Le jeune Victor Hugo vient de publier un recueil de ses poésies où il y a des choses très belles. Comme il a autant de délicatesse que de talent, il ne veut pas faire la moindre démarche pour se faire annoncer dans les journaux. Je lui écris de vous remettre deux exemplaires de son recueil et je lui fais espérer que vous voudrez bien prier de ma part M. O'Mahony d"en parler dans le Drapeau blanc. Ce jeune Hugo, par ses opinions politiques et religieuses, et par son caractère droit et ferme, mérite que les honnêtes gens s'intéressent à lui."

M. Sarran écrivait que dans certains journaux on avait cherché à armer les actionnaires les uns contre les autres : c'est ce qui explique, pour le Drapeau Blanc, la retraite de MM. de Lamennais, de Saint-Victor et O'Mahony, propriétaires de six actions sur douze, mais ayant contre eux la réunion des six autres douzièmes et un concours de circonstances difficiles et tracassières, qui ne leur a pas permis de tenir position.

En 1822 toujours, Arsène est admis à la Congrégation de Paris (voir ici).


Le Défenseur 1820-1821

Le premier numéro du Défenseur, "ouvrage religieux, politique et littéraire", parut le 1er mars 1820, fondé par une partie de la rédaction du Conservateur en tête desquels était La Mennais. Parmi les signatures, outre celle d'Arsène, étaient Bonald, Saint-Victor, Genoude, Rubichon, le cardinal de La Luzerne ... "toute l'ancienne rédaction en un mot, moins Chateaubriand et Fiévée." Lamartine et Nodier y collaborent.

Il paraissait d'abord à des époques indéterminées, mais on en donna ensuite un cahier tous les samedis. Quoique la politique y tienne une grande place, on y trouve plus d'articles relatifs aux matières ecclésiastiques ou religieuse.

Les parutions sont réunies en 5 tomes datés mars 1820, juillet 1820, septembre 1820, mars 1821 et mai 1821 dans lesquels se trouvent les articles signés d'Arsène :
On trouve le tome 1 sur Google books ( ici).


Les annales de la littérature et des arts 1820 et suivantes

La parution de ce journal a été annoncé en octobre 1820. Parmi les principaux rédacteurs se trouve Arsène. Ce journal paraitra toutes les semaines par livraison deux feuillets et demie.


Les lettres champenoises 1820 et suivantes

C'est en 1820 que parut le premier numéro des Lettres Champenoises ou "correspondance morale et littéraire" rédigée par MM. de Feletz, Michaud, O'Mahony, Laurentie, Saint-Prosper et plusieurs autres hommes de lettres. Dans le prospectus d'annonce, on peut lire, "nos éloges n'ajouteraient rien à le réputation que s'est déjà faite, quoique très jeune encore, M. le comte O'Mahony." voir ici


La Foudre 1821-1842

La Foudre, journal des nouvelles historiques, de la littérarure, des spectacles, des arts et des modes, rédigé par une société des gens du monde et d'hommes de lettres, est un journal parraissant tous les cinq jours par livraison de cinq feuilles, dont le premier numéro sortit le 10 mai 1821. Le principal rédacteur était Théodore Dartois. Parmi les autres se trouvent O'Mahony, Michelet, Nodier, Beauchamp. Le gouvernement qui l'avait créé et subventionné, se décida à le supprimer pour faire cesser le scandale de ses agressions malicieuses et implacables contre les demi-dieux du parti libéral.

On pouvait lire dans le numéro 20 : "M. le comte O'Mahoni, connu par ses honorables sentiments et ses écrits qui ont si puissamment servi la cause royale, va, dit-on, publier la Suite des Mille et Une Nuits. On peut assurer d'avance que cet ouvrage empêchera bien de gens de dormir."

Il existe cependant un numéro du 29 septembre 1842, célébrant le vingt-deuxième anniversaire "de la naissance de cet enfant du miracle [le duc de Bordeaux]", numéro dans lequel Arsène rend compte de la séance de l'Académie du 27 septembre (ici).


Le Mémorial Catholique 1824-1830

En dénonçant violemment en 1822-1823, le « libéralisme dogmatique » et la « doctrine gallicane » incarnée par l'archevêque de Paris, Mgr Frayssinous, Lamennais brise un concensus par lequel la presse catholique ne s'aventure pas trop sur le terrain politique. Il est donc lâché par les équipes des différents journaux auxquels il collabore. Il représente un risque pour quiconque l'engagerait pour une tribune dans les colonnes de son journal. Aussi lui reste-t'il à fonder lui-même un journal et une presse catholique d'un autre type. Au terme de ces expériences, Lamennais prend conscience de la nécessité d'une nouvelle presse catholique, qui osera dire haut et fort ce que pensent les chrétiens, à partir de l'Évangile, qu'il présente comme la loi de l'humanité. Ainsi naît en janvier 1824 le Mémorial catholique, dirigé par l'abbé Gerbet et l'abbé Salinis, mais en réalité largement inspiré et contrôlé par Lamennais qui relit tous les articles avant leur publication dans le journal le jeudi. Le Mémorial catholique demeure un journal conservateur, hostile aux idées libérales : il est l'héritier de la pensée de Bonald et du Conservateur, condamne l'héritage de la Révolution en des termes souvent violents, et dit craindre tout virage républicain dans le régime en place (Guilhem Labouret : Presse catholique et écriture polémique autour de 1830).

Ce journal paraissait par livraison de quatre feuilles, vers le 15 de chaque mois, depuis le 15 janvier 1824 et jusqu'en août 1830. Ses principaux rédacteurs étaient Lamennais et le spirituel et fin railleur comte O'Mahony [Abbé Faure Rapport historique sur l'œuvre de Saint-Louis de Gonzague, Pitrat, 1885]. A côté de Lamennais vinrent s'inscrire deux noms illustres, de Bonald et de Haller. Un écrivain spirituel, brillant, caustique, athlète exercé dans les luttes de la presse, le comte O'Mahony, s'était attribué le rôle de tirailleur. Autour des maîtres se groupaient une pleiade de jeunes écrivains, dont plusieurs sont devenus célèbres [Abbé de Ladoue : Vie de Mgr de Salinis, 1877].

C'est dans le deuxième numéro (février 1824) qu'Arsène publia son premier article intitulé Lettre de M. le comte O'Mahony aux rédacteurs du Mémorial catholique. Il commençait ainsi :

Je dois d'abord vous remercier de la proposition que vous me faites de coopérer à la rédaction du Mémorial catholique. Cette marque de votre souvenir me flatte d'autant plus que, dans ce siècle oublieux, j'étais loin de de croire qu'on se rappelait encore le nom d'un écrivain qui depuis six mois n'écrit plus, et les efforts d'un défenseur de la vérité qui a cessé de combattre ; car nous autres royalistes en retraite nous avons appris à nos dépens combien, en tout, le présent est pressé d'effacer le passé. J'ai donc un double motif de vous exprimer ma reconnaissance.


Article complet



« qu'on médite les pages que M. le comte O'Mahony écrivait dans le Mémorial catholique et autres feuilles périodiques et qu'il a depuis recueillies et publiées sous le titre modeste de Souvenirs, et qu'il aurait pu intituler plus justement : Histoire écrite entre 1819 jusqu'en 1829, de ce qui s'est passé en 1830. »

Les feuilles sont réunies dans 6 volumes, à raison de deux tomes par année. Les principaux articles signés par Arsène sont :



Lettre datée de Versailles, le 1er juillet 1829, à un père jésuite :

Mon vénérable père,
La personne qui m'a transmis votre lettre veut bien aussi se charger de vous porter la réponse. Je profite donc de son obligeance pour vous remercier de votre souvenir et du cadre que vous voulez bien me donner. Je le remplirai de mon mieux quand j'en aurai loisir, mais le Mémorial (seul recueil ou j'écris) ne parait qu'une fois par mois, et j'ai des engagements pris pour plusieurs articles. Heureusement qu'il seras toujours temps de parler des jésuites. La haine qu'on leur a vouée est assez robuste pour nous faire espérer qu'elle ne mourra pas de sitôt : le sujet aura donc toujours le mérite de la circonstance.
Vous avez lu, sans doute, l'admirable brochure de l'abbé de La Mennais. C'est tout à la fois une histoire et une prophétie. Elle a produit beaucoup d'effet, je veux dire de sensation ; car c'est aujourd'hui tout ce que la vérité peut produire. Quant à ses effets, il n'en faut point espérer. On a pris son parti ; on a fait alliance avec le mensonge ; on se trouve bien dans le mal ; on y reste, et on y restera ... éternellement !
Au reste, le dénouement de tout ceci est plus prochain qu'on ne pense. La secte va vite et droit au but ; bientôt elle l'atteindra, à la grande surprise de niais qui dorment et des sots qui croyent veiller. Encore quelques concessions, encore quelques lois religieuses à la manière de celles en faveur du sacrilège et de celle contre les communautés de femmes ; encore quelques sermons comme celui du sacre ; encore quelques fournées de traîtres amnistiés ; encore quelques milliers de croix, de rubans, de pensions, de faveurs, aussi convenablement appliqués ; et l'œuvre sera consommée !!!... Quand ce jour sera venu, peut-être commencera t'on à s'apercevoir que la force d'une monarchie n'est pas dans la rente, son éclat dans les illuminations, sa gloire dans les feux d'artifices, et sa prospérité dans les billets de l'opéra.
En attendant, mon vénérable père, disons la vérité, prêchons la dans le désert, prions pour le petit nombre qui l'écoute et surtout pour le grand nombre qui ne l'écoute pas ; et remettons le reste entre les mains de celui dont le royaume survivra à tous ceux de ce monde, et dont les lois dureront plus que toutes les constitutions, sans même en excepter la Charte constitutionnelle.

  
Lettre du 1er juillet 1829


Article paru dans Gilblas le 5 décembre 1830



La Quotidienne

Arsène collabora à ce quotidien. Dans ses souvenirs politiques, est repris un article qu'il y fit paraître en 1828 sous le titre de : Lettre à M. Laurencie.


La rupture avec Lamennais : L'Invariable 1831-1841

Un virage important a lieu en 1827-1828 : la politique réactionnaire de Villèle marque le pas, ce dernier échouant aux élections de novembre 1827. Martignac est nommé premier ministre, et le Mémorial penche désormais pour plus de libertés. Dans cette perspective, et prenant le prétexte des journées révolutionnaires de juillet 1830 qui l'obligent à interrompre la parution, le Mémorial laisse la place à un quotidien, le premier grand quotidien catholique, libéral de surcroît, L'Avenir. Il y eut alors rupture avec La Mennais, comme le raconte Hyppolyte Barbier [Biographie du clergé contemporaine (1844), page 215] :

Il y a eu scission entre M. de La Mennais et M. O'Mahony, lors de l'apparition de l'Avenir. Celui-ci voyait avec peine les tendances républicaines de l'écrivain, il s'en offusquait, et bientôt s'avança visière levée contre lui, l'innocent homme ! M. de La Mennais ne pouvait plus faire pour le nouveau champion que de lui répondre par le silence. Il fut généreux jusqu'au bout, et l'Avenir tombait qu'on ne savait pas encore ici bas s'il existait en Suisse un journal appelé l'Invariable .


Et La Mennais écrivait lui-même :

O'Mahony, qui m'élevait autrefois sur un piedestal et presque surles autels ! Qui l'aurait cru ? Qui le croirait encore ? Et je suis le parrain de sa fille ! Voilà les hommes, mon ami. Voilà les catholiques et les partisans du pape ! Ils ont tout de l'Evangile, excepté la charité, c'est à dire rien.


La dernière séance de la Congrégation se tiendra le dimanche 18 juillet 1830. Quelques jours plus tard la Révolution de juillet place Louis-Philippe sur le trône, comme l'avait prédit Arsène dans une lettre à son ami l'abbé Combalot, récemment invité à monter en chaire devant le Roi et la Cour durant le carême de cette anné 1830 : Vous parlez à des sourds couronnés, et ce sera le dernier Carême de la cour de Charles X. Vous faites ainsi l'enterrement de la Monarchie ! Commence alors "la petite émigration suisse de 1830" :

Alors que certains, comme le P. Caillau, se rendaient en Italie, un groupe plus important rejoignait Fribourg en Suisse : c'étaient les royalistes, avec l'abbé Perreau et le groupe des mennaisiens plus conservateurs. A leur tête, le comte Arthur [c'est sous ce prénom qu'est généralement connu Arsène durant la période suisse!] O'Mahony, un ancien rédacteur, avec La Mennais, du Drapeau Blanc et du Conservateur, puis, intime de la Chênaie [propriété de Lamennais et siège de la Congrégation de Saint-Pierre qu'il avait fondée] et de l'équipe du Mémorial. 1830 et l'annonce de l'Avenir le détache du groupe pour le vouer au légitimisme militant. Cependant le départ de ses nouvelles publications est assez laborieux. Il donne d'abord ses Souvenirs politiques (Avignon, 1831), réimpression de ses articles du Mémorial avec des retouches pour en diminuer le mennaisisme primitif. Vient ensuite : l'Invariable, Nouveau Mémorial catholique, octobre 1831. Introduction au premier volume, Fribourg, 1831. Finalement la revue annoncée : l'Invariable, Nouveau Mémorial catholique, qui parut d'octobre 1831 à juillet 1838 et devait rompre brutalement avec les nouvelles tendances et la personne de La Mennais. [Revue Bénédictine, Volume 83, Abbaye de Maredsous, 1973]


Arsène en était l'éditeur, la liberté d'édition en vigueur en Suisse, et la possession d'un passeport anglais, lui permettant de poursuivre en toute impunité son combat politique contre la Monarchie de Juillet. On pouvait lire en tête du premier numéro :

L'ancien Mémorial était à sa 12e année, et paraissait devoir fournir une longue carrière, quand il fut interrompu par l'explosion révolutionnaire de juillet (1830). Cependant plusieurs rédacteurs qui avaient alors quitté la France, s'étant depuis retrouvés en Suisse, ont résolu d'employer les loisirs de leur exil volontaire en travaillant à un nouveau recueil du même genre et conçu dans le même esprit que l'ancien. Que s'il leur manque, pour soutenir la réputation que s'est acquise le premier Mémorial, l'habile collaboration de plusieurs de ses rédacteurs, occupés maintenant en France à enseigner des doctrines nouvelles dans un journal nouveau (l'Avenir), ils se sont, en compensation, assuré l'assistance de quelques écrivains, tant français qu'étrangers, connus pour leur invariable attachement à l'invariable vérité, et qui les aideront à soutenir dignement le titre qu'ils ont choisi.




Selon plusieurs auteurs, il était à cette époque l'informateur du Saint-Siège et du diplomate autrichien Louis-Philippe de Bombelles, alors ambassadeur en Suisse, fils d'un marquis français ayant émigré sous la Révolution et pris du service en Autriche. Arsène écrivait le 21 février 1836 au père Nicolas Deschamp, professeur au pensionnat de Fribourg et qui était à la tête des jésuites ayant voulu créer un organe périodique dès le lendemain de 1830 :

Si pour exciter votre plume, il fallait un autre motif que votre désir de faire le bien, je vous dirais que cet Invariable, que vous avez créé, que vous avez dirigé, que vous avez longtemps enrichi, vient de recevoir un double encouragement. D'abord une collection entière a été prise pour la Bibliothèque du Vatican; ensuite le Saint-Père a versé sur le pauvre et indigne directeur une de ces grâces spéciales, récompense inappréciable aux yeux du chrétien.



Louis-Philippe, comte de Bombelles (1780-1843),
-Sur cette famille, alliée des Biaudos de Castéja, voir ici-
(La mère d'Arsène, cousinait avec la sœur du comte de Bombelles).



Il fut, également à cette époque, reçu chevalier dans l'ordre des Saints-Maurice-et-Lazare, comme l'atteste le diplôme signé le 16 décembre 1836 par Charles Albert, roi de Sardaigne, de Chypre et de Jérusalem, duc de Savoie etc..., grand maître de cet ordre depuis 1831. Sur le diplôme comme sur les documents afférents, il est qualifié chevalier de Saint-Louis, à tort.


     
Diplôme avec cachet de cire
-cliquer sur les miniatures-

              
Diverses correspondances à ce sujet
-cliquer sur les miniatures-



Le Véridique 1831-1833

Arsène était aussi un des principaux rédacteurs du Courrier fribourgeois qu'il transforme en 1831 pour en faire Le Véridique, faisant venir le théologien protestant converti Jean Georges Esslinger qui devient vite le protagoniste rédactionnel jusqu'en 1832. Le Véridique fut publié à Fribourg jusqu'en 1833, à raison de trois, puis deux parutions hebdomadaires. Avec un registre manuscrit unique et très intéressant intitulé Registre de comptabilité avec l'Office des postes de Berne contenant des listes d'abonnés de 1831 dans toute la Suisse et à l'étranger, avec noms, prénoms et/ou titre des personnes et institutions ainsi que les frais d'envois. La liste commence par les ambassades étrangères à Berne, mais contient un grand nombre de personnalités importantes non seulement en Suisse, mais dans toute l'Europe. Sont indiqués également les nombres d'exemplaires envoyés à des bureaux d'expédition dans d'autres cantons et villes afin d'être vendus sur place.


La Gazette du Lyonnais 1833-1835

En 1833 Théodore Pitrat, fondateur de la Gazette du Lyonnais, fut emprisonné pour quinze mois et vit naître un nouveau journal royaliste le Réparateur "fondé contre lui" par son principal collaborateur. Abandonné par nombre de ses rédacteurs, il trouva en Arsène son principal soutien : "Après 1833, le principal correspondant de la Gazette, réside à Fribourg, en Suisse, d'où il semble avoir en des rapports avec la cour de Prague ; c'est le comte Arthur O'Mahony, le noble écrivain qui a collaboré à presque tous les journaux « royalistes et ultramontains » de la Restauration."

Si Arsène entre en rapports avec Pitrat, c'est qu'après la parution du Réparateur la Gazette du Lyonnais a donné un nouveau coup de barre à droite. Il lui envoie d'abord l'article communiqué du 29 décembre 1833, qui provoque la démission du général d'Haupont, gouverneur d'Henri V. D'autres articles suivent, en 1834, ainsi qu'il l'a promis, s'attaquant tous au Réparateur qu'il déteste pour ses velléités libérales et aussi pour des motifs plus personnels, car ce journal a feint de ne pas le connaître ou de présenter ses écrits comme "des recueils badins de Bouquets à Chloris, de charades et de logogriphes (Revue d'Histoire de Lyon, tome douzième, année 1913)

Dans son numéro du 1er mars 1834, Arsène avait fait insérer un article de polémique paru dans l'Invariable et qui fit réagir ainsi : "Après deux mois de silence, M. le comte O'Mahony vient de publier, dans un journal de cette ville, une réponse au Réparateur, à laquelle le Réparateur ne répondra pas. Le public ignorera donc ..." Mais le public n'ignora rien et La Gazette du Lyonnais fut même obligée de faire un second tirage de plus de 300 exemplaires de cet article que le Réparateur avait condamné à rester à jamais ignoré. Les journaux royalistes avaient annoncé la nomination de M. de Bermond en qualité d'aide-de-camp d'Henri V et Arsène prétendait que cette nomination n'aurait pas lieu. "Il se vante d'avoir à Prague des correspondants qui le tiennent, mieux que personne, au courant de ce qui s'y passe".

Dans ses cahiers, Madame de Chateaubriand écrit : "La Gazette du Lyonnais était sous l'influence du Duc de Blacas (2) et des Jésuites par l'entremise du Comte de Mahony qui habitait la Suisse. Ce journal se faisait l'écho de toutes le inimitiés de ses inspirateurs"



La France 1834-1837

Le 2 août 1830, Charles X et son fils, le duc d'Angoulême, avaient abdiqué, laissant le jeune duc de Bordeaux (3) seul prétendant au trône. Un mouvement de soutient se créa à l'égard de celui qui pourrait être roi sous le nom d'Henri V, et en avril 1833 l'avocat Forfelier et le journaliste Nettement créent L'Echo de la jeune France, organe d'un mouvement développant un climat de ferveur autour du jeune prétendant.

Mais ces abdications ayant été obtenue sous la contrainte de l'émeute en 1830, elles étaient considérées nulles par Charles X et ses proches, réfugiés maintenant au château de Prague en Bohème, au premier rang desquels, le duc de Blacas. Cet "henriquinquisme" les irrite, et la venue à Prague de plusieurs centaines de Français le 29 juillet 1833 à l'occasion de la majorité royale (13 ans) pour saluer dans le jeune prince le Roi, est un déclencheur. Le duc, depuis quelques temps déjà en relation avec Arsène qui soutenait ses idées sur cette question, le charge de transformer la feuille satirique le Brid'Oison qu'il a fait racheter en novembre 1834, en un quotidien sous le nom de La France, "journal des intérêts monarchiques de l'Europe" (4).

L'Invariable l'annonce : "Ce que nous avions fait pressentir dans la note de la page 30 de cette livraison s'est heureusement confirmé. L'excellent journal de M. de Lisle prend enfin, avec un nouveau titre, le développement qui convient aux grands sujets qu'il traite et à la haute protection qui le soutient. Nous en recevons à l'instant la nouvelle par son prospectus, que nous nous empressons de reproduire ici tout entier". [tome 5, 1834, 31e livraison p. 118]

Le duc de Blacas et ses amis, dont Arsène, étaient d'accord avec tous les royalistes sur la nécessité, le jour où le trône pourrait être relevé, après la mort de Charles X, d'y appeler Henri V (le comte de Chambord) et non Louis XIX (le duc d'Angoulême), mais ils ne voulaient pas qu'il échappe à la tutelle de son oncle pour se placer sous celle de sa mère, la duchesse de Berry.

Les O'Mahony et le comte de Chambord











(1)  Ainsi qualifié dans l'article nécrologique de la Presse du 31 décembre 1858, du Monde dramatique du 13 janvier 1859, etc.   (retour au texte)

(2)  Pierre Jean Louis Casimir de Blacas d'Aulps (1771-1839). Louis XVIII l'avait nommé ministre de la Maison du Roi, grand-maître de la garde-robe et intendant général des Bâtiments de la Couronne. En 1830, il suivit les Bourbon dans leur exil.   (retour au texte)

(3) Henri d'Artois, comte de Chambord, petit-fils de Charles X et neveu du duc d'Angoulême qui ont abdiqué en sa faveur le 2 août 1830, et que ses partisans considèrent comme le futur roi Henri V. Sa mère est la duchesse de Berry  (retour au texte)

(4)  Le soulèvement de la duchesse de Berry, Hugues de Changy, 1986, p 234 ; Souvenirs Amand d'Haupoul, 1902, p 407   (retour au texte)








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AN : AB/XIX/3302 , Dossier 14 : Lettres au comte Arsène O'Mahony sur les questions religieuses et politiques et les journaux l'Invariable, la Quotidienne, l'Ami de l'Ordre adressées par : la duchesse de Blacas, 2 pièces (s. d.) ; Max de Foresta (13 avril 1838) ; Frapier, 5 pièces (1839-1845) ; de la Grelaye (17 décembre 1839) ; Lecat (J.-B.) (7 mars 1840) ; de Montbel, à Goritz (28 mars 1839) ; Teillard (24 mars 1840) ; l'évêque de Saint-Claude, 2 pièces (1840-1842) ; une marquise, à Prague (République tchèque), sur les ouvres du parti légitimiste et l'exil de la duchesse de Berry (30 septembre 1833) ; 6 pièces non signées ou non identifiées (1833-1840 et s. d.) ; minutes de lettres à un religieux sur la profondeur de l'action de Félicité Robert de Lamennais et sur les doctrines de « l'Avenir » qui gagnent le clergé français, 2 pièces (s. d. [1831]). 1831-1845.