Dominique Barbier

Le Domaine de Trévarez

possession de la famille de 1623 à 1845





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Vue aérienne du domaine de Trévarez.
Sont cerclés de rouge, de bas en haut, l'ancien château (Maner Coz), le chapelle Saint-Hubert, le nouveau château construit par les Kerjegu (achevé en 1907).



Quand on effectue des recherches sur Trévarez, on voit aujourd'hui qu'il s'agit d'un imposant château fin XIXe-début XXe siècle, propriété du Conseil Général. Ce château a été érigé par les Kerjegu, auxquel Michel-Adrien d'Ampehernet de Pontbellanger vendit pour 600 000 francs, en 1845, le domaine dont il ne profitait guère plus que pour y inviter ses amis à de grandes parties de chasses. Le domaine était alors constitué de plusieurs bâtiments, dont le manoir et la chapelle, comme le montre le cadastre napoléonien ci-dessous. Pour loger les ouvriers attachés à la constructions du nouveau château, les Kerjegu aménagèrent le vieux manoir, supprimant les bâtiments vétustes et mal entretenus, le tronquant dans sa partie est où il ajouta l'escalier couvert qu'on peut voir aujourd'hui, comblant l'étang devant la façade principale pour en construire un plus grand sur le côté est etc.



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Trévarez au temps de nos ancêtres.
Cadastre Napoléonien (Archives en ligne du Finistère - cadatre de Saint-Goazec - Section A)


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Trévarez au temps de nos ancêtres.
Plan et reconstitution du domaine seigneurial du vieux Trévaré d'après le cadastre ancien
-Tiré du livre de Michèle Le Goffe "Sites, signes, vies au centre de vallée de l'Aulne"-


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L'ancien château de Trevarez ou "Maner Coz"
Cet étang fut aménagé par les Kerjegu fin XIXe, remplacant le petit étang primitif qui était devant la façade principale.
-Carte postale ancienne-



Siège du marquisat de la Roche, Trévaré (plus tard Trevarez), situé sur la commune de Laz (Finistère), puis de Saint-Goazec à la création de cette dernière à la Révolution, entra dans la famille en 1606 quand Anne de COATANEZRE, reçut la succession de Troïlus de MEZGOUEZ, son grand oncle. Mais nos ancêtres ne s'y établirent qu'à partir du 19 octobre 1623, quand Anne et son mari Charles de KERNEZNE saisirent le fief sur la famille de Linoët. A cette époque, le "château ancien" (Maner Coz) ne comprenait que la partie occidentale, dont Michelle Le Goffe donne la description : "Cette construction en petit appareil de shiste, à ouvertures en grand appareil de granit, était un bâtiment irrégulier, avec retour en équerre, à étages. Les combles importants, au toit très enveloppant, à deux versants, s'éclairait de petites lucarnes se disposant sur deux étages". C'est leur fils Charles de KERNEZNE qui, ayant hérité du domaine en 1624, construisit au XVIIe siècle la partie orientale dont la facade "nettement mieux ordonnancée et bien conservée, comporte encore aujourd'hui trois travées d'ouverture sur deux niveaux avec porte axiale." En 1640, le domaine comprenait, outre l'habitation, une boulangerie, un four à pain, une volière, un pressoir, une chapelle, un pavillon pour le carrosse et un vivier de saumons. Nombre de ces bâtiments -probablement en mauvais état- furent détruit par les Kerjegu à la fin du XIXe siècle, quand ils aménagèrent le manoir pour y loger les ouvriers qui allaient travailler à la construction du nouveau château.



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Le Maner Coz, vieux château de Trévarez, principal manoir de la baronnie de Laz, maintes fois rebâti et modifié jusqu'en 1960, est l'actuelle ferme école. La partie encadrée de rouge est celle ajoutée par Charles de Kernezne au XVIIe siècle. Un cadran solaire portant les armes des Bot du Grégo surmonte la porte principale (Michèle Le Goff) -Photo DBA 2009-



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A gauche : Cette vue arrière Nord, tirée du livre de Michèle Le Goffe, dessinée par A. Meyer en 1833 (avec vue tronquée de la suite du bâtiment) montre ce qu'était le manoir ancien.
A droite : Vue côté sud, partie ajoutée par Charles de Kernezne au XVIIè siècle, gravure de Langlais dessinée en 1987 (Collection M. Le Goff).



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Vue arrière Nord du manoir ancien



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Vue avant Sud du manoir ancien et cadran solaire (les armoiries ne sont pas identifiées et ne sont pas celles du Bot du Grégo)



Trévarez resta possession des KERNEZNE, qui en firent leur résidence ordinaire, jusqu'en 1759, date à laquelle Marie-Aude du CHASTEL, comtesse de la Bédoyère, arrière petite-fille du dit Charles, alors veuve de Hugues-Humbert HUCHET de LA BÉDOYÈRE, en hérite. Réputée dure, intéressée et procédurière, elle n'était aucunement attachée à Trévarez qu'elle administrait depuis son château de Vannes où elle résidait.

Son petit-fils Charles-François-Jules du BOT du GRÉGO lui succéda. Il vivait au château du Grégo, près de Vannes, mais aussi beaucoup à Trévarez où il avait constitué une importante bibliothèque dont tout ou partie des livres furent saisis à la Révolution pour la nouvelle bibliothèque de Carhaix ( voir le Catalogue des objets échappés au vandalisme dans le Finistère : dressé en l'an III (Nouv. éd.) / par Cambry ; publ. par ordre de l'administration du département). Les ajouts successifs avaient rendus le domaine d'un style impossible à définir, comme le nota si bien le chevalier de Frémenville, auteur, en 1833, des Antiquités de la Bretagne : "Je fis une lieue à travers un pays désert et entièrement couvert de bois, et j'arrivai à ce château. Il ne méritait guère la visite d'un antiquaire. Quoique vaste et prêt à tomber en ruines, il n'est pas du tout ancien. Je ne vis en lui qu'une grande masure, un assemblage irrégulier et informe de bâtiments disparates entassés l'un sur l'autre, sans intention, sans goût et sans symétrie, l'un surplombant à droite, l'autre à gauche, et semblant sur le point de s'écraser mutuellement faute d'entretien et de soins" (Finistère, volume 2). Pour cette raison, le marquis du Grégo avait songé construire un château moderne et pour cela s'était adressé à l'architecte Besnard qui fit, en 1776, pour Monsieur du Grégo les projets d'un château de vingt trois toises trois pieds de façade (40m - Bulletin de la Société archéologique du Finistère).

La terre ensuite passa aux d'AMPHERNET de PONTBELLANGER par le mariage de sa fille unique, Louise, marquise du Grégo, de la Roche etc. avec Antoine-Henri, vicomte de Pontbellanger. Comme son père, Louise était très attachée à cette terre : elle s'y maria, y recevait le général Hoche que l'on pense avoir été son amant, la sauva des désastres de la Révolution, s'y remaria et y mourut. Son second mari, le général baron Bonté lui fit ériger un superbe mausolée de marbre dans la chapelle du domaine, où son père reposait déjà.

Charles-Félix, fils unique de Louise et du vicomte de Pontbellanger, puis Michel-Adrien son fils en héritèrent. Ce dernier, qui vivait à Pontbellanger mais organisait de grandes parties de chasse à Trévarez, vendit aux frères de Kerjégu « Les manoirs et bâtiments de services, terres et dépendances du château de Trévarez, les métairies, domaines et tous les droits immobiliers quelconques qu'il possédait tant dans les communes de Saint-Goazec, Laz et Spézet (Finistère) que dans celles de Roudouallec et Guiscriff (Morbihan) », soit 2.022 hectares (site de Lazaloeil). Une partie de l'argent ainsi perçu servit à modifier profondément le château de Pontbellanger.

Le député James de Kerjegu fit construire, en 1891 le château qu'on peut voir actuellement (achevé en 1904). Depuis le début des années quatre-vingt le domaine départemental de Trévarez, qui est la propriété du Conseil Général, voit son parc progressivement réaménagé. Simultanément, des manifestations florales, des événements et des expositions artistiques font sa renommée. Lieu de promenade, de découverte et de culture, Trévarez attire chaque année quelques cent mille visiteurs.



   

A gauche, la chapelle Saint-Hubert construite en 1699 par Luc de Kernezne pour remplacer une autre, du XVIe siècle, dédiée à Notre-Dame. Les tombes de Louise du Bot du Grégo, et de son père le marquis, en furent retirées pour être transportées au cimetière de Saint-Goazec(-Photo DBA 2009-) : à droite, intérieur de la chapelle (photo JL. Poulmarc'h - Lazaloeil)



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La fontaine SaintHubert, datant du XVIIe siècle (-Photo DBA 2009-)



Une chasse à Trevarez en 1844 (Extrait du Journal des Haras, 1844.)

"La grande journée celle qui fera époque dans les souvenirs du pays... c'est celle où est tombé sous nos balles un énorme sanglier, fameux par les moissons qu'il avait ravagées, et devenu comme celui de Galydon l'effroi du pays. La meute se composait de soixante chiens d'élite... La veille, le mardi 18 octobre deux sangliers, un solitaire et une bête de suite avaient été rambuchés dans marais de la Reine. Six chiens de différentes meutes furent découplés vers onze heures et lancèrent le vieux sanglier. Le vent était affreux, la pluie tombait par intervalle, l'ouragan grondait à travers la montagne, courbait la cime des vieux chênes et sifflait dans les rochers. Un seul chien, le fameux Ronflo garda la piste malgré la tempête.... Le sanglier se fit battre d'abord franchement, mais à l'approche de la nuit, il résolut de se défendre, fit plusieurs fois tête aux chiens, en moins d'une demi-heure, en blessa grièvement six. La nuit empêcha les chasseurs de les secourir.
Il fallut remettre la partie au lendemain... Tout à coup Ronflo tenu au trait se détourne brusquement et empaume chaudement une voie. Tandis que ces Messieurs cherchaient à reconnaître le sanglier de la veille, l'énorme calydonien qui n'était qu'à quelques pas s'élance sur le chien, le fait voler en l'air, en lui déchirant la cuisse d'un coup de boutoir, et s'avançant rapidement sur les chasseurs, les force à chercher leur salut dans une prompte fuite. Ces messieurs vinrent faire le rapport et on découpla trente chiens sur la brisée sanglante. L'animal partit avec peine. Bientôt il rentra brusquement dans Laz. A cet instant un relais de quinze chiens lui fut donné. Ce fut le beau moment de la chasse. Dans une vaste lande parsemée de taillis, l'énorme sanglier, suivi de la meute bruyante et acharnée. Les piqueurs sonnant le bien-aller et vingt chasseurs à cheval lancés au galop, formaient un spectacle magnifique et imposant. Mais malgré tout ce bruit de chiens, de cors, de cris, malgré l'assistance des chasseurs, le sanglier trouvait encore moyen de se retourner de temps en temps et de repousser les chiens les plus avancés... L'agonie du monstre fut terrible. Il éventra les premiers chiens qui se précipitèrent sur lui. Enfin tous les chasseurs arrivèrent et on mit fin à sa fureur. Ce sanglier, un des plus beaux que l'on ait vu en Bretagne depuis longtemps pesait près de 200 kilogrammes. Je ne terminerai pas le compte-rendu de cette brillante journée, sans dire un mot de la fête champêtre qui a couronné dignement le sport de Trévarez, pendant les huit jours de folle vie, à laquelle l'hospitalité gracieuse de M. Michel d'Amphernet de Pontbellanger avait convié ses amis.
Toutes les communes environnantes avaient été prévenues qu'une fête bretonne aurait lieu dans les avenues de l'antique château de Trévarez; aussi, dès le matin, les bardes rustiques avec le biniou et le hautbois étaient à leurs postes; les campagnards arrivaient en foule, ornés des habillements de fête qui distinguent chaque paroisse.
On commença par les courses de chevaux. Deux prix étaient destinés aux courses au galop. Vous connaissez, chers lecteurs, ces luttes curieuses sans lesquelles il n'y a pas de belle fête pour un breton et qui ont lieu à travers les chemins montueux, pierreux, dévastés au milieu des applaudissements de l'assistance. On remarquait à celle-ci plusieurs jolis chevaux provenant des étalons de Langonnet.
Après la course qui avait lieu sur le chemin de Châteauneuf; on revint dans la grande prairie, où devaient avoir lieu les courses à pied; la vingtaine jeunes garçons à large poitrine et au jarret de fer, la longue chevelure ramenée sur le front, furent placés sur un seul rang. La distance était de mille mètres. Cependant une arène se disposait... Ces préparatifs annonçaient les luttes. On vit bientôt entrer dans la lice, d'abord de jeunes enfants, qui s'essayaient dans la science du lamb et du costin; puis des jeunes gens connus déjà par leur habileté, enfin parurent les héros renommés par de nombreuses victoires et qui étaient venus exprès de Gourin...
La journée finie par des danses nationales que la nuit vint trop tôt interrompre, et le son du biniou fit encore longtemps après retentir de ses accents animés les sombres échos des vallées de l'Aulne."





L'ancien et le nouveau château (carte postale ancienne)



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L'actuel château de Trevarez, construit par l'architecte Walter-André Destailleurs pour James Montjarret de Kerjégu (1846-1909), ancien président du conseil général du Finistère. Les écuries datent de 1900. (-Photo DBA 2009-)