Daniel O'MAHONY
Dessin tiré du livret publié
par la Catholic Truth Society of Ireland :
"The hero of Cremona, count Daniel O'Mahony",
by John G. Rowe, 1874
I.- Capitaine des Gardes Irlandais du Roi d'Angleterre
(Irish Foot Guards)
Lors de la Glorieuse Révolution de 1688 le roi catholique Jacques II fut renversé par son gendre protestant Guillaume d'Orange. Il embarqua alors pour la France (17 décembre) et les régiments qu'il laissait en Angleterre furent sévèrement réformés, n'étant principalement conservés que les soldats protestants. Ainsi un des deux bataillons du régiment irlandais d'infanterie des Gardes, celui de Dorrington, dans lequel servait Daniel O'Mahony, fut-il dissout en janvier 1689.
Dorrington et ses hommes retournèrent en Irlande et se mirent à la disposition de Richard Talbot, comte de Tyrconnell, que le Roi Jacques avait envoyé en 1686 y commander l'armée.
Le Roi débarqua à Kinsale (Irlande) avec 6.000 soldats français le 12 mars 1689. Richard Talbot, qui venait d'être créé duc, le rejoignit à Cork et l'accompagna à Dublin. A la tête d'une armée franco-irlandaise maintenant forte de 25.000 hommes, il marcha vers le nord. Dans cette armée se trouvait le régiment des Gardes du Roi sous le commandement du colonel William Dorrington. Ainsi Daniel prit-il part au siège de Derry (18 avril-28 juillet) [ndlr : A Derry le Roi présida un parlement des patriotes et rendit aux Irlandais les possessions qui leur avaient été confisquées par Cromwell] et combattit-il aux côtés de son Roi à la bataille de la Boyne (1er juillet 1690). Défait, le Roi retourna en France et Daniel resta en Irlande se distinguant à la bataille d'Augrhim (22 juillet 1691) et à la défense de Limerick qui s'en suivit.
Les "Irish Foot Guards" furent longtemps commandés par le duc d'Ormond.
Quand celui-ci passa au service de Guillaume d'Orange, le roi Jacques donna le commandement au colonel William Dorrington, comte de Macclesfield,
en avril 1789.
L'heure du choix
Quand le général Ginckel y obtint la reddition du général Sarsfield, il signa le fameux traité de Limerick qui donnait aux troupes jacobites les choix d'entrer au service de la France, d'entrer au service de l'Angleterre ou de retourner sur leurs terres
Les quelques 14.000 hommes concernés furent réunis le 5 octobre 1691 sur une prairie au bord de la rivière Shannon pour un défilé avec tous les honneurs de la guerre (drapeaux, tambours .) au terme duquel ils se dirigeraient, selon leur choix, vers les drapeaux français ou anglais qui avaient été plantés de part et d'autre. Le premier régiment à marcher fut le célèbre régiment d'infanterie des Gardes du Roi (Irish Foot Guards) du colonel Dorrington, fort de 1.400 hommes. Que ferait-il ? Le choix du premier régiment aurait une influence considérable sur les autres ! Arrivé à l'endroit fatidique, le régiment se dirigea d'un bloc vers les fleurs de lys, laissant stupéfaits Ginckle et les Lords Justice. [ndrl : Seuls 7 hommes s'étaient dirigés vers le drapeau anglais]. A la tête d'une compagnie de ce régiment marchait le capitaine Daniel O'Mahony.
Arrivé en France Daniel servit avec son régiment sur les côtes Normandes, avec les forces prévues pour restaurer Jacques Stuart sur le trône.
Courant 1692 il fût promu major (commandant) dans le régiment de Limerick commandé par le brigadier Talbot puis par le chevalier John Fitzgerald.
Après le traité de Ryswick reconnaissant Jacques roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande, Louis XIV entreprit une grande réforme des troupes irlandaises. Celle-ci prit effet le 27 février 1798 et de nombreux régiments furent dissous.
Daniel semble être resté auprès du roi Jacques qui avait installé sa cour au château de Saint-Germain-en-Laye, où il mourut le 16 septembre 1701. Il se qualifiait toujours Garde du Roi d'Angleterre, comme on peut le voir sur les actes de baptême de ses enfants sur les registres de cette ville : gentilhomme cy devant capitaine aux gardes du Roi d'Angleterre pour son fils Jacques le 5 novembre 1699, et major des Gardes de Sa Majesté britannique pour sa fille Marie Anne, le 19 octobre 1701.
II.- Major au régiment irlandais
de Dillon
au service de la France
-Campagne d'Italie-
Le Brave de Crémone
La guerre de Succession d'Espagne (1701-1714) a commencé et s'est portée en Italie où Louis XIV a envoyé François de Neufville, maréchal duc de Villeroy , pour affronter Eugène de Savoie, prince de Savoie-Carignan, dit le Prince Eugène.
Daniel, entretenu major réformé (ndlr : volontaire en demi solde) à la suite du régiment irlandais de Dillon se trouve ainsi à Crémone où le maréchal de Villeroy a établi son quartier général après la bataille de Chiari ; les régiments irlandais de Dillon et de Burke y sont en garnison avec d'autres régiments français.
Le major O'Mahony assurait le commandement du régiment ou bataillon de Dillon, en l'absence de son colonel-commandant qui était Gérard O'Lally, père du célèbre mais malheureux comte Lally (ndlr: le colonel-propriétaire était Arthur Dillon).
Le prince Eugène avait dans son armée un natif de Crémone, frère du révérend Giannantonio Cozzoli, curé de la paroisse de Santa Maria Nueva, dont l'église et la résidence étaient proches d'un égout menant aux tranchées entourant les remparts. Le père Cozzoli demanda au gouverneur espagnol Don Diego de la Concha de nettoyer le dit égout . ce qui fut fait, permettant ainsi au prince Eugène de l'utiliser dès le 20 janvier 1702 pour introduire dans la cité plusieurs officiers et grenadiers sous divers déguisements. Le père Cozzoli cacha ces quatre ou cinq cents hommes chez lui et chez des partisans de l'Autriche, et fournit au prince les plans de la ville, détaillant les fortifications et donnant pour la garnison son nombre, sa disposition, les logements des officiers etc. Ces hommes préparèrent secrètement l'intervention du prince Eugène.
Quand tout fut déclaré prêt pour la surprise, le prince divisa ses forces en deux divisions. La première, qu'il commandait lui-même, consistait en 3.000 grenadiers et 1.500 cuirassiers. La seconde, placée sous le commandement du prince de Vaudemont, comprenait 2.000 fantassins et 3.000 cavaliers. Avec les officiers et soldats déjà introduits dans la place, les forces ennemies comptaient quelques 10.000 hommes, bien supérieures en nombre aux 4.000 que comptait la garnison.
A 23h le 31 janvier 1702, le prince Eugène se mit en marche, depuis Ostiano, à quelques 25 kms de Crémone. Les français ne montaient pas une garde très vigilante, à l'exception des deux bataillons irlandais qui, conformément aux ordres stricts du major O'Maony, surveillaient la porte du Pô. Les quelques 500 officiers et soldats autrichiens et allemands introduits dans la ville prirent la porte Sainte Marguerite qui n'était jamais gardée et signalèrent à l'armée du prince Eugène, par des signaux lumineux, que la voie était libre. Rapidement mais dans le silence, ils firent une brèche dans cette porte par laquelle la cavalerie ennemie entra dans la ville, l'infanterie passant par les égouts dont on a parlé. La porte d'Ogni Santi (tous les saints) fut rapidement prise par les impérialistes qui se déversèrent dans les trois avenues principales, sécurisant les rues adjacentes et occupant l'hôtel de ville où le prince installa son quartier général. Il envoya alors le baron de Mercy, à la tête de 250 cavaliers, prendre la porte du Pô pour permettre aux troupes de Vaudemont de rentrer dans la ville. Le baron essuya le feu des 35 irlandais de garde, ce qui le stoppa et réveilla les hommes des bataillons de Dillon et Burke dont les baraquements étaient proches. Le major O'Mahony ne logeait pas sur place et il avait demandé à son ordonnance de le réveiller au lever du jour car il voulait passer en revue son bataillon. Le galop de la cavalerie allemande le réveilla et il comprit aussitôt que la ville avait été surprise par l'ennemi. Il saisit son épée et ses pistolets et arriva à temps aux baraquements pour se mettre à la tête des deux bataillons qui se mettaient en ordre de marche. Le lieutenant-colonel Francis Wauchop le rejoignit et se mit à la tête du bataillon de Burke. Les irlandais se portèrent au secours de leurs 35 camarades.
Le baron de Mercy, qui avait fait venir de l'infanterie et pris la batterie de Saint-Pierre, s'apprêtait à canonner les défenseurs quand il fut attaqué sur son flanc par O'Mahony et Wauchop. Le premier chargea pour la batterie et le second pour les remparts. Pris par surprise, les allemands reculèrent devant les baïonnettes irlandaises. Mercy chargea à la tête de ses cuirassiers mais O'Mahony et Wauchop formèrent des carrés et fauchèrent les assaillants qui prirent la fuite, laissant leur commandant, le baron de Mercy, mortellement blessé. Plusieurs s'étaient réfugiés dans des maisons voisines mais O'Mahony les en délogea. De même plaça-t-il la batterie reprise en position pour balayer toute approche de cet endroit.
Le jour était maintenant levé et les français s'agitaient dans tous les quartiers dans une confusion totale et sans offrir une réelle résistance aux cuirassiers ennemis. Réveillé par les coups de feu, le maréchal de Villeroy monta à cheval pour aller à la place, et au tournant de la première rue il fut enveloppé par les ennemis et ne put faire aucune défense, n'ayant qu'un aide-de-camp et un page avec lui. Il offrit à l'officier qui le prit 10.000 pistoles et un régiment qu'il lui promit de lui faire donner par le Roi s'il le voulait mener au château ; l'officier lui répondit qu'il y avait trop longtemps qu'il servait l'empereur pour écouter pareille proposition. Le maréchal, étant ainsi pris, fut amené par ordre du prince Eugène hors de la ville dans une cassine avec bonne garde. Son sort fut partagé par plusieurs officiers parmi lesquels le marquis de Montgon, le marquis de Crenan et gouverneur espagnol Don Diego de la Concha.
Mais la splendide défense de la porte du Pô par les irlandais permit au comte de Revel [ndlr : Walter Burke, colonel propriétaire du régiment de son nom], lieutenant général commandant toutes les troupes dans Crémone, de rallier certains français et de repousser les assauts ennemis dans ce quartier de la ville.
Le prince de Vaudemont arriva avec l'autre division de l'armée impérialiste mais ne put franchir le pont de bateaux tenu par les irlandais. O'Mahony tenant le pont et le comte de Revel reprenant le terrain perdu, rue après rue, le prince Eugène envoya le capitaine irlandais Mac Donnell essayer de séduire son compatriote O'Mahony pour le faire changer de camp et rendre le pont sur le Pô. Mais celui-ci refusa catégoriquement et fit arrêter Mac Donnell pour tentative de subordination. Le prince Eugène lança assaut après assaut contre les irlandais, sans pouvoir les écraser.
Le major O'Mahony, qui commandait les deux bataillons irlandais depuis que le lieutenant-colonel Wauchop avait été blessé, entreprit d'avancer et d'aider Revel à prendre la porte Mantua. Le prince Eugène voyant les choses tourner à son désavantage tenta de convaincre Villeroy de faire cesser le combat. Le maréchal répondit qu'étant prisonnier il n'avait plus aucune autorité et que ceux qui résistaient étaient libres de le faire.
Le baron Freiberg, à la tête de ses cuirassiers, perça le carré du bataillon de Dillon, mais aucun de ses cavaliers qui y pénétrèrent ne vécut assez longtemps pour le raconter. Le baron lui-même fut tué.
Le combat dura onze heures, pendant lesquelles les irlandais, sous les ordres du major O'Mahony gardèrent la porte du Pô et aidèrent Revel à reprendre la ville. Le prince Eugène se retira à 6 heures du soir par la seule porte toujours en sa possession, la porte Sainte-Marguerite, emmenant avec lui comme prisonniers le maréchal de Villeroy, 80 ou 90 officiers français et irlandais et quelque 400 hommes, mais laissant 1.200 tués ou blessés et environ 300 prisonniers.
Crémone fut sauvée par les irlandais, mais au prix de 350 tués, blessés ou prisonniers, sur les 600 hommes que comptaient les deux bataillons réunis. La renommée de la défense irlandaise de Crémone sonna comme un clairon dans toute l'Europe.
En gage de reconnaissance, le comte de Revel envoya le major O'Mahony porter au Roi la nouvelle de ce triomphe. Le monarque lui accorda une audience privée d'une heure à Marly, le 9 février.
Dans son Journal [tome huitième 1701-1702, Firmin Didot 1856] le marquis de Dangeau raconte « M. de Chamillart vint le matin dire au Roi les nouvelles de ce qui s'est passé à Crémone le 1er de ce mois ; elles sont si extraordinaires qu'il n'y a nul exemple de cela dans l'histoire ancienne ni dans la moderne. C'est Mahoni, major du régiment de Dillon, qui était dans la place, qui a apporté cette nouvelle. »
Saint-Simon précise dans ses Mémoires que le Roi s'enferma seul avec Daniel dans son cabinet, et qu'il en sortit au bout d'une heure : « En changeant d'habits, pour aller dans ses jardins, il parla fort de Crémone en louange, et surtout des principaux officiers ; il prit plaisir à s'étendre sur Mahoni, et dit qu'il n'avait jamais ouï personne rendre un si bon compte de tout, ni avec tant de netteté d'esprit et de justesse, même si agréablement. Il ajouta avec complaisance qu'il lui donnait mille francs [livres] de pension et un brevet de colonel. » Il reçut également une somme de 1.000 louis d'or pour couvrir ses frais. De même le Roi augmenta-t-il la paye des officiers irlandais.
Profondément Jacobite, Daniel O'Mahony se rendit ensuite à Saint-Germain-en-Laye présenter ses respects au fils du défunt roi Jacques II, qui avait été proclamé roi « Jacques III d'Angleterre et d'Irlande et VIII d'Ecosse » le 16 septembre 1701 et qui lui conféra le titre de chevalier. Selon un article paru dans les Annales de Bretagne et des pays de l'ouest (vol 109, Université d'Angers, 2002), « Il a été fait chevalier de Saint George de la Jarretière par Jacques II [plutôt Jacques III]. Louis XIV a reconnu son titre nobiliaire. »
Le colonel O'Mahony, adjudant général du duc de Vendôme, connu en France comme le fameux Mahoni, continua de servir en Italie sous les ordres du duc envoyé par le Roi pour remplacer le maréchal de Villeroy. Il se distingua à la prise de Castiglione delle Stiviere (27 mai-1er juin 1702), dans une embuscade du général Visconti à Santa Vitoria (26 juillet), à la bataille de Luzarra (15 août).
Après Luzarra, il écrivit à M. Chamillart, ministre de la guerre, demandant la permission de quitter l'armée française pour lever un régiment de dragons irlandais au service du roi Philippe V d'Espagne. Le ministre ne semble pas avoir donné suite à cette demande qui ne se réalisera que 2 ans plus tard. [Irish soldiers in Europe : 17th-19th century par George B. Clarck, 2010]
Le 26 juillet 1703 la ville fortifiée de Brescello, proche de Luzarra, capitula. L'article 8 de l'acte de capitulation stipule « qu'aussitôt la présente capitulation signée et la porte livrée, M. le baron de Wint sera obligé de recevoir M. le chevalier de Mahony, colonel d'infanterie, dans la dite lace, avec M. d'Esgrigny, intendant de l'armée très chrétienne, pour faire l'inventaire de ce qui peut être dans la dite place, tant de munitions de guerre que de bouche, et recevoir les armes de la dite garnison, qu'ils seront obligés de livrer aussitôt que la porte de la ville sera livrée aux troupes du Roi. » Le duc y laissa Daniel pour y commander dans cette place comme gouverneur.
Daniel combattit en janvier 1704 à San Sebastian et Castelnuovo Bormida puis quitta l'Italie.