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Lettre de Monique de Gouy d'Arsy, datée du château de Malpierre le 22 septembre 1790.

On ne sait pas à qui est adressée cette lettre, mais il sagit d'une autorité militaire autre que le ministre qui, à cette date, était Jean-Frédéric de la Tour du Pin Gouvernet.




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Il y a bien longtemps, Monsieur, que je n'ai eu le plaisir de vous voir, et que vous n'avez entendu parler de moi ; je me rappellerai de temps en temps à votre souvenir si je ne craignais de vous être importune au milieu des grandes affaires qui vous occupent. Mais dans ce moment ci, il faut pourtant que j'intéresse votre amitié et que je réclame pour M. de Mahony, celle que vous lui avez toujours témoignée. On parle d'une promotion, et on parle de la faire aller jusqu'en 80. Il est colonel de 77 et ses campagnes le portent même à 75. Ainsi il est impossible qu'il n'y soit pas compris ; mais ce qui le tourmente fort ainsi que moi, c'est le sort qui lui sera accordé. S'il n'est pas employé comme Maréchal de camps, que va-t-il devenir, surtout avec la modicité des retraites qu'on annonce devoir donner aux officiers qui ne servent plus, et au temps de services qu'on ? pour la donner. Il faut donc qu'après avoir servi autrefois le roi et aujourd'hui la nation pendant 31 ans avec un zèle et, j'ose dire une distinction peu commune, il se trouve au moment où il devrait recueillir le fruit de ses services, réduit à rien, ou presque rien. Cette perspective ...

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... est horrible. Il est étranger et s'il eut servi une autre puissance que la nation française, bien surement au bout de 31 ans de service il aurait un sort honnête. Il n'a plus nulle espèce de fortune, le peu qu'il en avait, il l'a mangée au service, ayant servi 15 ans sans aucun appointement, faisant la guerre quand personne ne la faisait, n'y étant point obligé, et certainement plus en activité que ceux qui étaient bien payés pour ne rien faire. Il est vrai qu'il croyait alors placer sa petite fortune à un bien haut intérêt tant par la bonne réputation qu'il devait acquérir que par les grâces du Roi auxquelles elle lui donnait droit de prétendre, et qu'il gagnait aux coups de fusil. Au lieu de cela, s'il est fait maréchal de camp non employé, il est réduit à rien ; car en m'épousant, non seulement il n'a voulu recevoir de moi le moindre avantage, mais il s'est même refusé à profiter de l'aisance que je pouvais lui procurer, puisque nous sommes mariés séparément de biens. D'ailleurs, quand cela serait autrement, ce n'est ...




... pas moi qui suis tenue de le récompenser des services qu'il a rendus à la nation, et sans doute elle ne compte pas me charger d'acquitter sa dette. Cependant s'il me perdait, il serait absolument sans pain, et l'on ne pourrait même pas lui conseiller d'aller dîner chez ses parents parce qu"il n'en a point dans ce pays ci. Jugez donc, Monsieur,de son désespoir, du ? de ce boulversement de toutes choses ; cela est au point que s'il est fait maréchal de camps sans être employé, ou sans avoir une très bonne retraite, il est décidé à renoncer au grade et à conserver son régiment, que je ne pense pas qu'on lui ôte, surtout si l'on veut bien considérer dans quelle fidélité, quelle subordination, quelle sagesse, et quelle discipline il s'est maintenu au milieu de la contagion générale. Le compte que M. de Murinais vient d'en rendre au ministre, vous est sûrement connu, Monsieur, et vous donnera l'occasion et les moyens de faire valoir les services de M. de Mahony, et sa position de fortune si vous prenez à lui l'intérêt que vous lui avez avez, et à moi, toujours montré, et sur lequel nous comptons. Ces ...

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... détails que je viens de vous faire, ne sont point ceux que l'on fait à l'homme public, ce sont ceux qu'on fait à l'ami sensible, fait pour les sentir et les apprecier, et c'est à l'ami à qui je demande d'en faire l'usage convenable. Un mot de réponse de vous, Monsieur, qui me dise ce que je dois craindre ou espérer me sera bien précieux, et je n'en abuserai pas. Je n'écris point au ministre, j'attends pour cela votre avis. D'ailleurs j'aime mieux vous devoir, qu'à personne, la chose que je désire le plus au monde, c'est que M. de Mahony soit employé. S'il l'est, vous savez sentir qu'elle sera mon bonheur, et ma reconnaissance, et quel plaisir j'aurai à la joindre au très ancien et très sincère attachement que je vous ai voué pour la vie.

Vous verrez, Monsieur, d'après vos registres, que M. de Mahony sert depuis 1763, qu'il a été fait capitaine en 1770, colonel en 1777 ; qu'il a 2 campagnes aux isles de France et de Boubon dans le grade de capitaine, 2 aux isles du Vent et Sous le Vent dans celui de colonel, et qu'il s'est trouvé aux 3 combats de mer livrés par M. de Guichen ; cela lui compte 31 ans de service, les campagnes comptant doubles. N'oubliez pas tout ceci je vous supplie.

Il est encore bon de rappeler, Monsieur,que M. de Mahony avait une pension de 3000 livres avant d'être colonel en second, qu'on la lui a ôtée à cette époque et qu'il est le seul colonel étranger en france, qui n'en ai point, et qui soit réduit à ses seuls appointements.