Monsieur
Veuillez me pardonner de répondre si tard à la lettre que vous avez bien voulu m'adresser. De fréquents déplacements hors de France m'ont obligé à remettre souvent cette réponse qui est restée sans cesse présente dans mon esprit.
  Tout d'abord laissez-moi vous dire ma gratitude pour l'indulgence avec laquelle vous jugez mes romans bien imparfaits, je le dis. Je suis en tout cas heureux qu'ils aient pu vous intéresser.
  Ce que vous me dites de Talleyrand est naturellement très exact et je ne sais comment cette bévue m'est arrivée. J'écris chaque livre d'un trait, traqué par l'éditeur et l'imprimeur ... je sais que ce n'est pas une excuse et que le temps ne fait rien à l'affaire.
  En revanche je suis peiné d'avoir pu vous déplaire par l'interprétation romancée que j'ai donnée de votre aïeul Pont-Bellanger. Si celle-ci vous parait hostile c'est bien contre mes intentions. J'ai en effet rencontré peu de figures historiques aussi attachantes que la sienne et si je lui ai donné les traits d'un aventurier c'était par souci de rendre le climat de l'aventure chouanne où les conséquences de l'illégalité forcée où se trouvaient ces héros étaient de développer en eux les instincts du guerrier plus que du militaire, du mâle plus que de l'homme de cœur, ce qu'il peut y avoir de violent, d'excessif, de débridé et de désespéré dans un pareil comportement n'étant pas péjoratif à mes yeux.
  Quant aux responsabilités qu'il a pu prendre lors de la pénible affaire de Quiberon, j'ai pris soin de les faire couvrir par les hautes personnalités dont il recevait les ordres.
  Toutefois si cette interprétation vous fâche je peux lorsque les plombs de l'édition actuelle seront renouvelés modifier le nom de Pont-Bellanger. Si vous le souhaitez je vous saurais gré de me le faire savoir.
  Je vous remercie infiniment des si intéressants détails que vous me donnez sur la famille de Pont-Bellanger et sur lui-même ainsi que des titres de livre que vous voulez bien me signaler et aussi du document poignant que vous me communiquez et que je vous renvoie ci-joint après l'avoir copié.
  Je vous admire d'appartenir à une si illustre famille dont l'histoire tragique et héroïque demeur associée aux moments les plus pathétiques de l'histoire de notre pays et vous prie de croire Monsieur à l'expression de mes plus respectueux sentiments.