Marie Philomène François Anselme "Louis" O'Mahony, est né le 26 janvier 1835 à
Fribourg (Suisse). Dans le
Mémoriel de la Loire et de la Haute Loire du 10 avril 1866, on peut lire qu'il fit ses études au collège Saint-Michel en Haute-Loire, à sa fondation (sans plus de précision). Après 5 ans passés au chemin de fer de Lyon à Genève comme secrétaire
de l'exploitation, il sollicita auprès du Ministère des Affaires étrangères, le 18 avril 1862,
un poste de chancelier en consulat ou légation, en Extrème Orient de préférence, mettant
en avant sa maîtrise de la langue anglaise. Le 13 octobre suivant, il était désigné
chancelier à Hong Kong, où il arriva en poste le 3 février suivant.
Le 8 avril 1864, il prit également la gérance du poste de Shanghäi des mains du
consul Codeaux.
Le 21 septembre 1865, il sollicita auprès du ministère un congé pour
cause de fatigue et "un travail peut-être au dessus de mes forces" :
Votre excellence a pu suivre le développement qu'ont pris les affaires du consulat depuis les premiers mois de l'année dernière, époque à laquelle elle a bien voulu m'en confier la gestion.
L'inexpérience du chancelier substitué d'une part, la maladie qui a fini par l'emporter et qui, me privant pendant des mois entiers de son concours, faisait retomber uniquement sur moi le poids
de ces affaires. Un congé de six mois fut autorisé le 22 décembre, mais Louis
ne partit pas tout de suite. Il fit la demande d'un commis pour la chancellerie le 11 janvier 1866, demande qui fut rejetée.
Tous ces renseignements viennent de son dossier personnel aux archives diplomatiques
de la Courneuve (CADLC, Dossiers individuels de carrière, 1ère série,393QO,
dossier 3127)
ainsi qu'à celles de Nantes,
aimablement communiqués par M. François Drémeaux en juillet 2022.
Le dernier document de son dossier est une note confidentielle du consul du Chesne datée
du 25 février 1866 :
Le vicomte O'Mahony a succombé à une attaque d'hydrophobie
causée par la morsure d'un chien que tout le monde savait malade sans croire pour
cela qu'il fut enragé. "L'imagination était peut-être plus frappée que l'organisme".
Le ministère accusa réception le 11 avril de la nouvelle du décès de Louis,
succombé aux atteintes d'un mal cruel avant son congé. En effet, la rage,
hydrophobie selon le terme de l'époque, l'avait subitement
emporté à 31 ans : « La mort l'a frappé pour ainsi dire comme la foudre, il n'a pas été malade deux jours, personne ne voulait croire à une catastrophe ... » [Il faudra encore attendre
20 ans pour avoir les vaccins contre ce fléau
Histoire des diplomates et consuls en Chine de Nicole Bensacq-Tixier, 2008].
The London and China Telegraph précise qu'il avait été mordu
par un chien enragé que l'on disait appartenir à M. Vaucher.
Nous avons une relation de sa mort par une lettre du 23 février 1866 (
voir ici) du père Osouf à l'abbé des Garêts, chanoine de la métropole
de Lyon depuis 1836. L'abbé des Garets est Nicolas-Joseph
Carnier des Garets, né en 1828, parent de Louis par sa mère. Cet abbé était du chapitre du cardinal de Bonald, et tous deux avaient assisté Arsène dans ses derniers jours. Il avait publié en 1843 un pamphlet très remarqué :
Le monopole destructeur de la religion et des lois, ou la charte et la liberté de l'enseignement,
et il est l'auteur de plusieurs autres ouvrages.
Voici en quels termes l'
Evening-Mail de Hong-Kong, en date du 23 février 1866, parle des honneurs rendus à Louis : « Ce matin ont eu lieu les
funérailles du vicomte Louis O'Mahony, dont la mort soudaine vient de jeter la consternation parmi les nombreux amis qu'il avait su se faire. Ce jeune homme donnait les plus belles
espérances de succès dans la carrière qu'il avait embrassée, et sa perte a été vivement sentie par tous ceux qui avaient été admis dans son intimité.
A 7 heures du matin, le corps fut porté du consulat français à l'église catholique romaine, par un détachement de matelots de l'
Alphée. Une escorte d'honneur envoyée par le colonel Knox, du 9e régiment, et une compagnie de chacun des vaisseaux français stationnant
dans le port, suivaient le convoi. M. du Chesne, consul de France, conduisait le deuil, et, à ses côtés, on remarquait en uniforme le vice-amiral King, commandant en chef, le capitaine Nolloth, du vaisseau de Sa Majesté
Princess Royal, MM. Rodriguez et Allen, consuls d'Espagne et des Etats-Unis, et M. de l'Escailles, lieutenant de vaisseau, commandant de l'Alphée.
La plupart des principaux habitants et l'élite presque entière de la société de Hong-Kong assistaient à cette cérémonie, ainsi que le clergé anglais, français et espagnol résidant
dans cette ville. A la fin de la cérémonie religieuse, M. du Chesne, consul de France, a prononcé un discours d'adieux sur la tombe du défunt. »
L'Echo de Fourvière précisait : « M. O'Mahony n'était âgé que de trente ans. Il avait, dans sa trop courte carrière diplomatique, rendu de grands services aux missionnaires, et était honoré de la l'affection toute particulière de Mgr Guillemin, évêque de Canton. Dieu qui ne se laisse jamais vaincre
en générosité, lui a donné une faveur plus grande que celle d'une longue vie dans la grâce d'une sainte mort. Il a expiré en faisant résolument un sacrifice qui devait coûter beaucoup à son cœur, fortifié par la réception des divins sacrements, et pressant sur ses lèvres la croix qui avait recueilli le dernier soupir de sa mère. »
Son petit-neveu Yves O'Mahony, fit l'analyse suivante à la lecture des lettres de Louis : « En 1865, l'Annam était complètement fermé à la France et à son commerce. Mais des mandarins annamites vinrent à Hong-Kong pour négocier l'achat de bateaux à vapeur.
Le vicomte Louis O'Mahony, qui traita avec eux, sut si bien gagner leur confiance, que le roi d'Annam demanda à l'avoir auprès
de lui comme "ministre de France", disant que ce serait Louis ou personne. Des négociations s'ouvrirent ainsi entre la France
et le roi d'Annam qui désira envoyer une ambassade en France à condition qu'elle soit guidée par Louis et personne d'autre.
M. Duchesne, le consul de France à Hong-Kong, devant partir en congé en mars 1666, et se faisant remplacer par Louis, celui-ci
était immobilisé en Chine jusqu'en janvier 1867. Il obtint des mandarins annamites qu'ils diffèrent leur ambassade jusqu'à cette date.
Mais il se demandait quel accueil on ferait en France à ces projets. Il a tout fait par dessus la tête de son consul M. Duchesne.
Il a agi de Hong-Kong sur les affaires annamites qui ne le regardaient nullement. Il a opéré comme s'il était chef de poste,
ce qu'il n'était pas. Et il était en opposition avec la Marine et les amiraux gouverneurs de la Cochinchine. D'autre part, il ignorait tout
des intentions du ministère de Cochinchine.
Il s'arrangea donc pour rester dans la ?. Mais devant les avantages énormes que la France retirerait de l'établissement
de son protectorat sur l'Annam, et de l'ouverture de son commerce, il estima son devoir d'agir ainsi.
Lui seul a pu obtenir quelque chose de Tu-Duc. Le 1er janvier 1666, il est décoré par un envoyé extraordinaire de Tu-Duc,
de la Croix du Cygne, correspondant au grand cordon de la Légion d'honneur, en même temps que l'amiral français.
Il fait décorer son frère Paul de la même croix ! »
Cette tombe devait être une tombe provisoire, car nous savons que Maurice, frère de Louis, avait dans l'intention de faire revenir le corps pour l'inhumer au cimetière Saint-Louis de
Versailles. La chose ne s'étant pas réalisée, un monument fut érigé au cimetière catholique de Hong-Kong, selon ce courrier du 27 janvier 1883 : « Ce n'est qu'hier que le petit monument élevé à la mémoire de Monsieur le vicomte O'Mahony a été placé dans le cimetière catholique de Hong-Kong. Le monument se compose d'une pierre tombale en beau marbre blanc de 6 pieds de long sur 2 ½ de large. Elle est surmontée d'une croix en marbre blanc aussi, mesurant avec le piédestal solide sur lequel elle repose, une hauteur de 3 pieds et demi environ. Une pierre horizontale est solidement fixée sur une ? de béton entourée des quatre côtés par des planches de marbre blanc de 8 pouces de hauteur, et formant soubassement. Ainsi établi, ce monument quoique très simple fait un très joli effet et par sa solidité répond bien aux désirs que vous m'avez exprimés.
L'inscription qui se trouve sur la croix de bois a été reproduite sur la plaque horizontale en ces termes :
A la mémoire du Vte L. O'Mahony
Chancelier du Consulat de France à Hong Kong
et décédé le 21 février 1862
à l'âge de 28 ans »
Les recherches effectuées par le comité du Souvenir français de Chine furent
longues et vaines (comme celles de Cédric Langlois précédemment !) :
Nous étions deux à consulter les registres du cimetière
(à la date de son décès en 1866, mais aussi à la date de 1883 quand un monument
pérenne a été construit). Nous avons également arpenté la section du cimetière
qui correspond aux années les plus anciennes, nous n'avons rien trouvé.
(François Drémeaux, enseignant chercheur aux Université d'Angers, de Hong-Kong et de Haute-Normandie)