Fiche N° 0117

Auteur D. Barbier

16/08/2007

Guy du Faur de Pibrac

Ascendant ¤

 Allié ¡

Chancelier de la reine de Navarre et du roi de Pologne,

auteur d’un recueil de quatrains moraux en 1574

 

 

Guy du Faur, seigneur de Pibrac (1529-1584)

Chancelier de la reine de Navarre et du duc d'Anjou (futur roi Henri III), président à mortier en 1577.

Huile sur bois, châteaux de Versailles et du Trianon

 

 

Guy du Faur de Pibrac, magistrat (conseiller puis juge-mage au parlement de Toulouse, avocat général au Parlement de Paris en 1565, président à mortier en 1577), homme politique (conseiller d’état en 1570, chancelier en 1582 du duc d’Anjou élu roi de Pologne puis sacré roi de France), diplomate (ambassadeur au concile de Trente en 1562) et poète, est né à Toulouse en 1529,  4ème enfant du président au Parlement de Toulouse Pierre du Faur, seigneur de Saint-Jory et de Pibrac du chef de sa femme Causide [1] et a quatre frères : Pierre évêques de Lavaur, Louis dit Monsieur de Gratiens, conseiller au Parlement de Paris, juge mage de Toulouse et Chancelier d’Henri II, et Arnaud gouverneur de Montpellier.

Sa famille est une des plus anciennes et des plus nobles de la province. Ses aïeux avaient, avec valeur manié l’épée et avec honneur porté la robe. Plusieurs de ses ascendants avaient été présidents au Parlement de Toulouse. On cite son bisaïeul, Gratien du Faur, d’abord chancelier du comte d’Armagnac, puis ambassadeur de Louis XI en Allemagne, nommé ensuite président à mortier. Gratien du Faur avait eu deux fils : l’aîné devait être président aux enquêtes du Parlement de Toulouse et évêque de Lectoure et l’autre procureur général du Roi. Celui-ci fut le grand-père de Guy.

Il fut dès sa première enfance exposé à un grand danger ; car le tonnerre tomba sur sa nourrice, pendant qu’elle le tenait entre ses bras. Mais il n’en reçut aucun mal et la nourrice même ne fut blessée que légèrement à la cuisse gauche.

Lorsqu’il fut en âge d’être appliqué à l’étude, son père n’oublia rien pour lui donner une bonne éducation. Il l’envoya de bonne heure à Paris, où après ses études d’Humanités, il passa à la Jurisprudence. Déjà solidement instruit,  il va étudier le droit sous Cujas à Bourges, puis à Padoue où enseignait Alciat et où il resta plusieurs années.

Pibrac avait alors vingt ans lorsqu’il revint à Toulouse et, déjà grave à cet âge, on le vit, débutant au barreau, se placer dès son début au premier rang de l’honneur [2]. En même temps qu’il plaidait, avec une éloquence vraie et puissante, Pibrac, déjà désintéressé, ami du bien, jaloux d’être utile, faisait aussi sur la jurisprudence des lectures publiques qui attiraient une foule sympathique autour de sa chaire. Son nom devint vite célèbre aussi passa t’il rapidement, malgré sa jeunesse, de la chaire du professeur à la place du conseiller, et bientôt fut-il nommé prévôt ou, pour écrire son titre, juge mage de la cité de Toulouse. Il devait peu d’années après, marquer sa place à Paris même, et parmi les premiers personnages du royaume.

En 1557, il épouse Jeanne de Custos, dame de Tarabel. Son père Pierre décède la même année et ses deux frères aînés étant dans les ordres, c’est lui qui hérite des biens et titres.

Intègre et bon, tout dévoué à la justice et aux droites actions, Pibrac allait se signaler bientôt par deux actes également louables que l’Histoire a pu enregistrer.

En 1559, au moment où le Parlement de Paris, protestant contre un arrêté de la Grand’Chambre qui venait d’acquitter en appel des gens coupables d’avoir assassinés des luthériens, cassa trois condamnations à mort prononcées contre des réformés, il y eut entre la Cour catholique et le Parlement une sorte de duel moral. La Cour, poussée par le cardinal de Lorraine et Diane de Poitiers, voulait faire sentir aux gens du Parlement combien ce dernier arrêt lui paraissait audacieux, et les présidents et gens du Roi, mandés par Henri II, furent sommés d’aviser à rétablir l’unité de jurisprudence entre les chambres du Parlement ainsi que la stricte exécution des édits du Roi. Cette question fut posée, dès la fin d’avril 1559, par le procureur général du Parlement à la mercuriale, séance disciplinaire qui se tenait une fois par trimestre, un mercredi. Là, chaque membre du Parlement, à son tour, fit connaître son opinion sur la sommation du Roi. Peu de jours après, le Roi, instruit par quelque traite des velléités de résistance, se rendait en personne au couvent des Grands Augustins où se tenait alors provisoirement la mercuriale, et , entrant là, suivi des princes et du cardinal de Lorraine, des Montpensier et La Roche-sur-Yon, du Connétable de Montmorency, du garde des Sceaux et de plusieurs de ses conseillers, Henri II ordonna que le Parlement acheva sa mercuriale en sa présence. Qu’on se figure cette scène imposante : les magistrats assis, calmes et graves dans leurs longues robes, le Roi et les Guises, altiers, la tête haute et attendant avec des airs de menace toute parole de liberté qu’ils devaient regarder comme une parole de rébellion. Les conseillers n’en furent pas troublés. Anne du Bourg, que ne devait pas faire pâlir le supplice, fut particulièrement courageux et prit la défense de ceux qui demandaient, disait-il, une salutaire réformation. Puis un autre parla après lui, un homme jeune et énergique, du Faur de Pibrac, le conseiller toulousain, le disciple de Cujas et d’Alciat, qui, après avoir énuméré les abus de l’Eglise Romaine : Il faut bien, s’écria t’il, entendre ceux qui troublent l’Eglise, de peur que n’advienne ce qu’Hélie dit au roi Achab : c’est toi qui trouble Israël ! Le Roi s’était senti pris de colère en entendant les paroles hardies d’Anne du Bourg et de du Faur. Il ordonna à Montmorency de saisir l’un et l’autre sur leur banc de magistrat, pour servir d’exemple, et le connétable remit les conseillers à un capitaine des gardes qui les conduisit à la Bastille. Six conseillers encore, l’élite du Parlement, devaient être arrêtés. Trois s’échappèrent et les trois autres furent embastillés comme Pibrac. Je le verrai brûler de mes deux yeux ! répétait Henri II en parlant d’Anne du Bourg. Le coup de lance de Montgomery vint l’empêcher d’assister à ce supplice, mais le Grève attendait du Bourg et il y devait expirer en martyr. Il fallut les revirements étonnants d’une politique aussi troublée que celle d’un pareil temps, pour empêcher les autres conseillers de subir le supplice d’Anne du Bourg. Du Faur et Paul de Foix furent seulement condamnés à la suppression de leurs offices, mais l’assemblée des chambres, à laquelle ils en appelèrent, cassa l’arrêt, et de cette façon, le loyal Pibrac ne supporta point la peine qu’avaient encourue sa droiture et son courage.

Député aux Etats Généraux d’Orléans en 1560, il est en 1562 ambassadeur de Charles IX au concile de Trente, où il défend les libertés de l'Église gallicane.

 

Une session du Concile de Trente

 

La Cour de France fut si contente de la manière dont Pibrac s’était conduit au Concile de Trente, que Catherine de Médicis, Régente du Royaume, lui fit écrire en Langudoc de se rendre à la Cour, pour être revêtu de la dignité de Chancelier. Pibrac reçût cet ordre à Toulouse, d’où il se rendit sur le champ. Cependant, un jaloux de sa gloire dit à la Reine, qu’elle aurait un jour sujet de se repentir de l’élévation de ce magistrat, qui était dens ses principes opposé au gouvernement qu’elle avait établi en France avec tant de soin et de peine. Médicis, faisant difficulté de croire ce qu’on lui disait, on lui fit lire le cinquante-quatrième quatrain : « Je hais ces mots de puissance absolue, De plein pouvoir, de propre mouvement, Aux saints décrets ils ont premièrement, Puis à nos lois, la puissance tollue [enlevée]. » La Reine ayant fait réflexion sur ces vers, il ne fut plus parlé de Pibrac. (Anecdotes littéraires, tome premier, abbé Raynal)

 

A Henri II avait succédé François II, et après le débile époux de Marie Stuart, Charles IX était monté sur le trône. Les rois mouraient et cependant 1a lutte était toujours aussi violente dans leur royaume. A cette heure, la France subissait une crise terrible, décisive. Le papisme et le calvinisme, l'épée au poing, allaient se disputer le pays et, en attendant, ils se disputaient les esprits. D'un bout à l'autre de la France, la question religieuse, cette question primordiale si souvent traitée d'une façon tragique et qui semble dominer encore aujourd'hui les questions politiques, cette question vitale était posée. Pouvait-on la résoudre pacifiquement ? La cour de Rome s'opposait avec une indomptable énergie à toute concession. Plus intelligents des besoins de l'Europe, la France, l'empereur Charles-Quint et l'électeur de Bavière demandaient que des réformes fussent introduites dans l'Église, par exemple qu'on autorisât les laïques à communier sous les deux espèces, qu'on abolit le célibat ecclésiastique, qu'on supprimât l'interdiction de manger certains aliments, qu'on déclarât enfin, ce qui était plus grave, que la dignité et les droits des évêques viennent de Dieu et non du pape. Le nombre des prélats italiens envoyés à Trente pour régler le différend, et l'attitude du cardinal de Lorraine, allaient rendre toute conciliation impossible, et le concile de Trente devait finir par le terrible cri d'anathème à tous les hérétiques) poussé par le cardinal lorrain. Ce concile, où naquit la Ligue et dont les arrêts allaient, on l'a dit avec raison, prendre aux yeux des catholiques l'autorité d'un livre symbolique, devait donc consommer à jamais la rupture des protestants avec l'Église romaine. Et que de sang, hélas, allaient faire couler ses décrets !

 

Estampe de Nicolas Larmessin

Châteaux de Versailles et du Trianon

 

Mais, du moins, avant qu'ils eussent été signés, les représentants du roi de France, Arnauld du Ferrier et Pibrac,  deux de ces conseillers enfermés naguère à la Bastille, deux compatriotes, deux enfants de Toulouse, avaient dû faire, en plaidant pour l'Église gallicane)  respecter à la fois et la liberté de la pensée et la dignité de leur pays. Ces deux ambassadeurs de Charles IX au concile de Trente (1562) y arrivaient précédés d'une réputation d'indépendance qui éveillait déjà les soupçons de la cour de Rome. Du Ferrier, qui devait plus tard se faire calviniste, et Pibrac, célèbre par l'attitude qu'il avait eue au Parlement de Paris, trois ans auparavant, furent reçus assez froidement au concile, mais leur fermeté devait peu s'en inquiéter. Pibrac, d'accord avec du Ferrier et Saint-Gelais, seigneur de Lansac, rédigea une allocution qui devait faire connaître aux Pères réunis en concile la mission qui motivait l'arrivée à Trente des ambassadeurs de Charles IX [3]. Le roi espérait, disait-il, que la vraie religion, affligée depuis cinquante ans de tant d'hérésies, sortirait enfin rétablie du concile de Trente. Sa harangue comminatoire surprit le concile à tel point que, contre toutes les règles de l'étiquette en pareil cas, lorsque Pibrac l'eut achevée, on se leva silencieusement et aucune réponse ne lui fut faite. Le discours de Pibrac lui avait valu, d'un cardinal trop fougueux, le surnom de Izelbleur de palais. Mais la douceur résolue du conseiller toulousain devait montrer ce que peut, pour l'honneur de son pays, un homme qui comprend ce que vaut la dignité de sa patrie.

Deux ans plus tard, en 1565, le chancelier de L'Hospital, qui l'aimait fort [4] et l'estimait entre tous, fit accorder à Pibrac la place d'avocat général au Parlement de Paris,  dans ce suprême Parlement de Paris où, il fit bien paroiftre par fa fageffe et par fon bien dire que jamais homme n'auoit auparauant luy plus dignement remply une fi grande charge [5]. Il fit encore éclater ses belles et rares qualités au conseil privé du Roi où il fut admis Conseiller d'État en 1570. Ce fut là que le sérénissime duc d’Anjou [6], frère du Roi, ayant reconnu la force de son esprit et sa forte probité, l’obligea par ses prières de prendre soin de ses affaires qui étaient extrêmement embrouillées, d’éclaircir les biens de son patrimoine que ses agents et ses solliciteurs auraient confondus, et de remettre le tout dans un bon ordre, ce qu’il fit au contentement de ce prince et à celui de la Reine, mère du Roi, qui lui avait donné l’entière administration de la comté de Lauraguais.

 

Le duc d’Anjou

Le 9 mai 1573, le duc d'Anjou, frère de Charles IX, le futur Henri III de France, avait été élu roi de Pologne, le dernier des Jagellons, Sigismond, étant mort sans descendant. Le duc d'Anjou, avant de partir pour la Pologne, voulut se composer une cour toute française, choisissant pour capitaine des gardes ce Larchant qui joua plus tard un rôle si terrible dans la tragédie de Blois, et emmenant aussi Quélus, Saint-Luc, Schomberg, les mignons et les raffinés, Annibal de Coconnas, le brave Crillon, puis un Rochefort, un Dampierre, etc. C'était là, avec Villequier, le vicomte de la Guierche et d'autres, la maison militaire. Pour son chancelier, le duc d'Anjou tint à ce docte Pibrac. Il lui adjoignit Sarred pour secrétaire d'État, Pomponne de Bellièvre, et dans cette chancellerie nous rencontrons encore un autre lettré, le poète Philippe des Portes, qui chantait déjà sa "volage Rosette".

 

Le grand prieur de Guise se trouvait aussi du voyage. On se figure ce cortège élégant traversant l'Europe pour se rendre au lointain pays de Pologne. Comme on allait, au delà du Rhin, se trouver en pays protestants et que la Saint-Barthélemy datait d'un an à peine, le duc d'Anjou ne se sentait pas fort rassuré. La présence d'un Guise dans la troupe n'était point faite, on l'avouera, pour inspirer beaucoup de sympathies aux populations luthériennes. Et Pibrac lui-même n'avait-il point composé, hélas, une Apologie de cet épouvantable crime [7] ? Pibrac, pendant tout ce voyage de France en Pologne, eut l'occasion de déployer et son zèle et sa science. Ce fut lui qui répliqua, en latin, sans y avoir été préparé, à la harangue de l'évêque de Breslau. Il s'exprima, dit un de ses biographes, avec tant de bonheur, d'élégance et de présence d'esprit, qu'il remplit les députés d'admiration [8]. Henri de Valois devait rapidement se repentir d'avoir accepté ce trône, et la mort de son frère Charles IX allait l'attirer bientôt du côté de la France.

La façon peu honorable dont Henri s’échappa de Pologne est assez connue. Le soir de son départ, dit un historien du temps, vers les neuf heures, il manda M. Danzay, qui possédait toute sa confiance, et le chargea de présenter de sa part, au Sénat, les justes raisons qui l’engageaient à partir si précipitamment. Cependant les Polonais ne furent pas plutôt instruits de l’évasion de leur roi qu’ils se mirent à le poursuivre avec la plus grande diligence. Jean Zismoski l’atteignit à dix-huit lieues de Cracovie et le conjura, mais en vain, de revenir sur ses pas. Le refus d’Henri faillit avoir de funestes conséquences pour les Français qu’il laissait en Pologne. Ils y furent exposés à d’injurieux traitements. Gui du Faur de Pibrac, l’un de ceux que le Roi affectionnait le plus, poursuivi par le peuple, se réfugia dans un marais où il failli mourir de froid [9] [il y était demeuré quinze heures !].

En 1575, après le sacre du nouveau roi de France, Guy du Faur revint en Pologne avec la mission d’engager la noblesse et le sénat à ne point déclarer le trône vacant et à conserver la couronne à Henri III,  mais tous ses efforts furent inutiles, et, l'année suivante, il revint en France où toujours enflammé du bien public, il poussait la Cour à traiter de la paix avec les protestants. Ce franc Gaulois gémissait de voir la patrie livrée à ces plaies effroyables : la guerre civile et l'ennemi. Aussi bien, en 1576, dut-il éprouver une immense joie lorsqu'il négocia cette paix tant désirée et, lorsqu'il la négocia avec son propre frère, Louis du Faur, seigneur de Gratens, chancelier du roi de Navarre et chargé des intérêts du parti huguenot.

Il avait vendu au mois de mai 1575 sa charge d’avocat du Roi à Barnabé Brisson, et le Roi le pourvut en 1577 de celle de président à mortier  vacante par la mort de Pierre Hennequin ; mais il y quelques difficultés sur sa réception en cette dernière charge, parce qu’elle était surnuméraire et que Pibrac en avait requis lui-même la suppression, étant avocat du Roi ; mais il vint de la Cour des lettres de jussion[10], conformément auxquelles il fut reçu. Faut-il insister sur la beauté et l'unité d'un tel caractère, fait de douceur résolue et de bonté mâle ? Pibrac nous apparaît ainsi comme le modèle de l'intégrité et de la mansuétude qu'on demande à l'homme investi d'une telle magistrature.

Cet honneur que recevait Pibrac n'était point d'ailleurs le dernier. La reine Marguerite de Navarre, femme de Henri IV, le choisit pour son chancelier, et c'est ici que se place l'épisode le plus romanesque et le moins facile à éclaircir de la vie de Pibrac.

 

 

Quoique très voisin de la cinquantaine, épris encore de sa femme, qui devait lui survivre, aimant fort ses enfants, Pibrac ne se laissa-t-il point, aux côtés de la séduisante Marguerite, atteindre par les feux de ce qu'on a appelé l'été de la Saint-Martin? Il était fort joli homme, le front vaste, le teint pâle, et, à cinquante ans, conservé par sa noble vie de devoir. Et d'ailleurs, le bois sec braie mieux que le vert, a dit Ronsard. Il est bien probable que Pibrac s'était laissé prendre aux attraits, à la grâce capiteuse de cette galante et corrompue reine de Navarre. Il l'avait accompagnée à Pau ; il avait été séduit par sa parole, peut-être aussi par ses éloquentes lettres qui faisaient rire Brantôme de celles du pauvre Cicéron. Le Béarnais, fort peu puritain en ses propos, ne se cachait point pour déclarer que Pibrac, ce vieux ruffian de Pibrac, avait été amoureux de sa femme, et que c’est l’amour qui l’avait devenir le chancelier de Marguerite.

 

Marguerite de Valois,

dite Margot, vers 1572

 

Que si les paroles de Henri IV sont authentiques, le roi, il faut l'avouer, avait la mémoire courte et ce n'était point l'amour qui avait fait devenir Pibrac chancelier de Marguerite; c'était bien elle, tout au contraire, qui avait demandé le concours de Pibrac. Pibrac rendait même de signalés services à Henri, puisqu'il administrait les biens que le roi de Navarre possédait en Flandre. Toujours est-il que la passion de Pibrac pour la reine était connue et que la séduisante Marguerite devait, au surplus, se montrer assez ingrate et cruelle envers ce fidèle serviteur qu'elle a accusé dans ses Mémoires de jouer au double [11].

L'âme aimante de Pibrac s'était sentie profondément atteinte et blessée par l'ingratitude de Marguerite. Le président de Thou et Pierre Pithou, les hôtes de Pibrac en son château, purent même recevoir les amères confidences de ce cœur ulcéré. On peut dire que le malheureux Pibrac, ainsi soupçonné, injurié dans ses sentiments, attristé par la façon dont Marguerite lui avait réclamé ses sceaux, reçut là une première atteinte du mal qui devait l'emporter. Dès lors, pris d'une sorte de mélancolie sombre, ou plutôt d'une maladie de langueur, après avoir essayé de suivre en qualité de chancelier le duc d'Alençon en Flandre, il revint à son château, à ses coteaux vineux et à ses clairs ruisseaux de Pibrac, et, brisé par le spectacle que lui donnait la patrie déchirée, il semblait, le cœur broyé, désintéressé à jamais des affaires publiques au point que son ami Étienne Pasquier [12] était forcé de lui conseiller de rentrer aux affaires et de se résoudre à vivre et mourir comme bon citoyen avec notre Etat.

Ainsi la santé de Pibrac s'était altérée d'une façon irrémédiable. A cinquante-cinq ans à peine, le 27 mai 1584, cet homme probe et fier rendait le dernier soupir, dans les bras de son frère Arnaud gouverneur de Montpellier, après une assez longue maladie et, la même année que Pierre de Foix; ce qui fit dire à l’auteur des Essais [Montaigne] : Je ne sais s’il reste à la France de quoi substituer un autre couple pareil à ces deux gascons.

Cet homme célèbre fut enterré aux Grands Augustins ; il avait désigné lui-même le lieu de sa sépulture.

Pendant la Révolution son tombeau fut transféré au Musée des monuments français créé par Alexis Lenoir. La pierre tombale sur laquelle était gravée en guise d'épitaphe sa biographie, était une des curiosités de ce musée.

 

Estampe anonyme

Châteaux de Versailles et du Trianon

 

Pibrac, en dépit des occupations que lui donnaient ses charges et dignités, n'avait garde d'oublier la poésie. Dès sa jeunesse "les langues d’Homère et de Démosthène, de Cicéron et de Virgile", lui devinrent vite aussi familières que la sienne propre et son langage était plein d'élégance et de politesse.

Le discours que Pibrac prononça en latin au concile de Trente a été traduit par Choquart, Paris, 1562, in-8.

On trouve dans la Description de l’entrée de Charles IX à Paris, imprimée en 1572, cinq sonnets de Pibrac, relatifs à cet évênement, qui eut lieu le 6 mars 1571.

Il avait composé en 1573 le poème " Les Plaisirs de la Vie Rustique " et fut chargé de rédiger une apologie de la St-Barthélemy, qui lui fut commandée par la cour, sous le titre de : Ornatissimi cujusdam viri de rebus gallicis...epistola, 1573, in-4.

Il publia, en 1574, cinquante quatrains, les premiers, qu'il dit imités de Phocylide et d'Épicharme et qu'il devait faire suivre de quatrains nouveaux jusqu'à atteindre le nombre de cent vingt-six. Il se fit une réputation extraordinaire par ces Quatrains, formant une série de stances morales à la façon de Théognis. On les réimprima sans cesse pendant le XVIIe siècle, et ils furent traduits en plusieurs langues de l'Europe et même de l'Orient. On y remarque la force des pensées et la beauté des maximes ; mais leur style suranné fait qu'on ne les lit plus. En 1587 un anonyme publia les Quatrains de M. de Pibrac en sixains à la manière dont on parle aujourd’hui, accompagné d’annotations qui expliquent les endroits les plus difficiles pour l’instruction des enfants, etc.

En avance sur son temps, cet auteur promeut à la fin du XVIe siècle déjà une éthique de la modération qui s'imposera surtout pendant le XVIIe siècle. Une éthique qui condamne l'amour de soi, dans le sens de la vanité ou de l'ego.

Guy Du Faur de Pibrac mérite pleinement le titre d'humaniste. Sa charge de haut magistrat et ses activités littéraires font de lui le lien qui unit par excellence la République des lettres au monde de la politique.

 

Château de Pibrac (Haute Garonne), reconstruit en 1540 par Guy et son épouse

(qui y reçurent Catherine de Médicis) et restauré au XIXè siècle

 

Le 5 novembre 1578, Catherine de Médicis qui était encore à Toulouse, alla coucher au château de du Faur à Pibrac. On fit à cette occasion de grandes fêtes et on déploya une incroyable magnificence. La reine de France était accompagnée du dauphin son fils, des seigneurs de Lansac, des maréchaux de Danville et de Birin et de la vicomtesse Joyeuse. "Deux ans après Guy de Pibrac donnait également l'hospitalité au célèbre jurisconsulte de Thou qui vint le voir accompagné de son collègue Pithou. Ces deux magistrats restèrent trois jours à Pibrac où ils furent reçus avec toute la splendeur que put déployer leur hôte qui était en même temps leur ami le plus dévoué." (Histoire de Pibrac, page 48)

 

 

Lettre de Pierre du Faur, seigneur de Saint-Jory, père de Guy, écrite de Saint-Jory à l’attention de Joseph Juste Scaliger

(conservée à la bibliothèque de Méjanes à Aix en Provence)

 

 

Sources : ---------------------------------------------------------------------------------------------------

Notice de Jules Claretie en introduction de l’édition de 1874 des Quatrains de Pibrac (BNF)

L. C. Dezobry et J. L. T. Bachelet, Dictionnaire général de biographie... 2 tomes, 1869

L. Petris, Institut de langue et civilisation française

Article Wikipedia

Site de l’histoire de Pibrac

 

Lien de parenté : --------------------------------------------------------------------------------------------

Père de Guy, père de Michel, père de Michel Clériade, père de Marguerite, mère de Bénigne Berbis de Rancy, père de Marie Marthe 1728-1782, mère de Marie Jeanne Chifflet d’Orchamps 1751-1807, mère de Victoire Boquet de Courbouzon 1771-1866, mère d’Adèle Le Bas de Girangy 1796-1857, mère de Marie Eugénie Garnier de Falletans 1823-1906, mère de Maurice O’Mahony 1849-1920, père d’Yvonne 1885-1965, mère de Monique Bougrain 1912-1968, mère de Dominique Barbier, père de Nicolas, père de Céleste



[1] La seigneurie de Pibrac appartenait aux Roux depuis le milieu du XIVè siècle. A la mort de Jean Doux, Pierre du Faur, en héritant des biens de son beau-père, hérite en même temps du titre de seigneur de Pibrac. Il fera reconstruire compétemment  le château en 1540.

[2] Il avait l’avantage de la taille, de la figure et de la voix (Annales poétiques)

[3]  "Cette harangue était une sommation en termes modérés, mais formels d'avoir à en finir avec de misérables disputes et de rendre la paix à l'Europe depuis si longtemps troublée par les affaires religieuses. Le ton en parut si vif que les pères levèrent la séance. De tous ses écrits c'est celui qui est travaillé avec le plus de soin." (dictionnaire Larousse)

[4] La réputation et les qualités personnelles de Pibrac lui valurent l’amitié du fameux chancelier de l’Hospital qui lui confia l’important ministère d’avocat du Roi.(Annales poétiques)

[5] Citation de Colletet dans sa Vie de Guy du Faur de Pibrac

[6] Henri de Valois, quatrième fils du roi de France Henri II et de Catherine de Médicis, Henri est d’abord titré duc d’Angoulême, puis duc d’Orléans à l’avènement de son frère Charles IX, puis duc d’Anjou en 1566. En 1573 il est élu roi de Pologne sous le nom d’Henri de Valois (Henryk Walezy) mais à la mort de son frère en 1574 il quitte ce pays en catimini pour se faire sacrer roi de France à Reims sous le nom d’Henri III le 13 février 1575.

[7] Il fut chargé de rédiger une apologie de la St-Barthélemy, qui lui fut commandée par la cour, sous le titre de : Ornatissimi cujusdam viri de rebus gallicis...epistola, 1573, in-4.

Le chancelier de l’Hospital à écrit à ce propos : « Ce qui redoublait mon infortune, c’était de ne retrouver dans mes amis ni mes principes, ni mon courage (…) Dufaur de Pibrac, que j’avis attiré de Toulouse à Paris, que mon estime avait placé comme avocat général, au premier de nos parlements ; lui que rend à jamais célèbre le rare avantage d’avoir épuré le barreau français, en y faisant renaître la raison et l’éloquence, prostituait l’une et l’autre aux pieds d’un jeune monarque, le félicitait de s’avouer criminel en présence de nos chambres assemblées en lit de justice, et lui rendait grâces d’avoir étouffé par un massacre horrible une conspiration imaginaire. »

[8] « Le jour du sacre étant arrivé, le Palatin de Cracovie se lève audacieusement ; il ose interrompre la cérémonie et proteste contre le couronnement si le Roi ne se soumet, sur l’heure, par serment, aux conditions qu’on a accepté pour lui (…) Pibrac craignit en cette occasion que son éloquence ne fût insuffisante ; il puisa ses ressources dans son courage : sans s’amuser à répondre au Palatin, il lève la voix et ordonne de la part du Roi que la cérémonie s’achève, ajoutant que Sa Majesté se réserve le droit de pourvoir au reste sous son bon plaisir et de l’avis du Sénat. La faction fut déconcertée par cette fermeté inattendue et la cérémonie fut achevée sans trouble. Cette action lui fit le plus grand honneur. » Annales poétiques, tome VI

[9] La chronique de Nestor par Louis Paris, tome 1er

[10] Commandement du Roi ordonnant de faire une chose

[11] L'histoire a conservé, à ce propos, deux lettres importantes que la reine de Navarre adressa à Pibrac, qu'elle osa accuser de trahison. Elles fournirent au chancelier l'occasion d'une réponse fière et superbe dans sa tristesse.

[12] Auteur des Lettres éloquentes dans lesquelles on trouvera la trace de ces mélancolies patriotiques et l'écho des gémissements que faisaient pousser à des hommes tels que Pibrac, les malheurs et les dissensions de la patrie. « Il y a deux grands camps par la France, » s'écriait douloureusement Pas­quier.