Fiche N° 00138 |
Auteur D. Barbier |
02/12/2008 |
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Charles COLBERT de TERRON |
Ascendant ¤ Allié ¡ |
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Fondateur de Rochefort en 1666
Charles
Colbert, connu sous le nom de Colbert de Terron, du nom de sa seigneurie de Terron-sur-Aisne,
est né à Reims le 9 mars 1628 de Jean Colbert, lieutenant général civil et
criminel de cette ville, et de Marie de Brignicourt.
On le
qualifie souvent de marquis de Bourbonne,
terre achetée en 1674 à Charles de Livron qui s’en disait marquis, mais
Bourbonne n’a jamais été érigé en marquisat ; le Roi, qui percevait la moitié des revenus de cette seigneurie,
lui cède ses droits cette même année, le rendant ainsi possesseur à part
entière de la terre de Bourbonne. Il possédait également Torceray.
Il
était le cousin germain de Jean-Baptiste Colbert, le grand ministre de Louis
XIV, né comme lui à Reims, dix ans avant Charles qu’il affectionnait
particulièrement.
Les
Colbert, marchands et banquiers champenois, se disaient descendre de nobles
écossais, mais il n’y en a aucune preuve et il était de pratique courante à
l’époque chez les roturiers de se faire valoir en s’inventant une ascendance
noble.
La
jeunesse de Charles est mal connue. On le retrouve à vingt ans conseiller du
Roi en ses conseils d’État.
En
1650 Colbert recommande à Le Tellier son cousin, nourri pour ainsi dire avec lui, pour un emploi administratif aux
armées pendant le quartier d’hiver. On le trouve ainsi intendant de l’armée de
Catalogne.
Après
avoir suivi cette école d’administration, dans laquelle Colbert s’était
lui-même exercé, Charles Colbert de Terron revint auprès de son cousin qui lui
fit acheter en 1652 une charge de maître d’hôtel de Monsieur frère unique du Roy, Philippe, duc d’Anjou, et il le prit
avec lui dans ses bureaux, l’habituant à sa méthode de travail et lui donnant
ainsi l’occasion d’entrer en communication directe avec le cardinal Mazarin et
de gagner sa confiance.
A
cette époque Colbert, qui était intendant de toutes les affaires du cardinal
depuis deux ans, s’efforçait de mettre de l’ordre dans ses affaires
embrouillées et de lui trouver un certain nombre de grosses sources de revenus.
C’est ainsi qu’il obtint pour lui le gouvernement de Brouage, port de commerce
puis port de guerre situé à 35 km au sud de La Rochelle, gouvernement
précédemment tenu par Richelieu qui l’avait fortifiée en 1622. Colbert, de son
bureau de Paris, ne pouvant surveiller tous les détails des intérêts du
cardinal, en fait confier la direction à celui qui devait être un autre lui-même dans le gouvernement de
Son Éminence, son cousin Charles, qui devient ainsi gouverneur délégué du
Brouage et dépendances.
Le cardinal Mazarin (1602-1661)
Musée
Condé de Chantilly
En 1654
Charles, qui est intendant des finances dans l’armée de Guyenne reçoit une dépêche
datée du 29 mai, dans laquelle on lui ordonne de régler le départ des troupes
de l’armée de Catalogne, de confier le soin de celles qui resteraient dans les
cantonnements à la surveillance d’un commissaire des guerres intelligent et de
se rendre à La Rochelle auprès du comte d’Estradès, ce qu’il fit dans la
seconde quinzaine de juillet.
Colbert
de Terron ne tarda pas à fixer sa résidence. A vrai dire cet administrateur
actif fut presque constamment par les chemins, mais il devait nécessairement
établir ses bureaux quelque part à poste fixe. De plus, il était marié et déjà
père d'une fille. Il fallait choisir entre Brouage et La Rochelle ; c'est à
Brouage qu'il installa son foyer.
Colbert
lui avait destiné la plus belle maison de Brouage. La maison du roi, ou logis du gouverneur, était une habitation
princière couvrant par ses constructions, ses cours et son grand jardin, une
superficie de près de 6000 m2. Sans l’occuper en totalité, Charles
Colbert de Terron pouvait s’y loger confortablement avec sa famille et y
installer ses bureaux. Il y eut bientôt maison montée, serviteurs, chevaux et
carrosse et même quatre gardes de Mazarin que Colbert avait fait adjoindre au
service du gouvernement. Sa femme recevait des visites, et lui-même ne
négligeait pas d’entretenir les relations mondaines auxquelles sa position
l’obligeait.
La maison
du Roy
A La
Rochelle, où il faisait de fréquents et parfois longs séjours, Colbert de
Terron n’avait qu’un pied-à-terre qu’il avait établi à l’hôtel de ville.
De même
que Colbert de Terron agissait en tout sous la direction de Colbert, aussi bien
son agence de Brouage n’était-elle qu’une succursale de l’agence Colbert à
Paris. Entre ces deux bureaux, c’était un courant continu de correspondances,
les lettres de Terron n’étant pas de simples billets mais de véritables
mémoires dont quelques uns comptent une dizaine de pages traitant d’une foule
de sujets précis. On y lit avec plaisir des scènes bien contées et l’on
rencontre ça et là des notes personnelles assez vives ou l’un de ces traits qui
faisaient dire à l’abbé de Choisy que ce
Terron avait bien de l’esprit.
La
réelle et première destination de ce gouvernement de Brouage était de gérer les
affaires de Mazarin dans son gouvernement, et il était soutenu en cela par un
haut titre officiel, celui d’intendant de justice, police et finances au pays
d’Aunis, La Rochelle, Brouage et îles adjacentes, ce qui fit dire qu’il était à
la fois intendant du Roi et intendant des affaires du Cardinal.
En 1661
il est également nommé intendant et commissaire général de la marine à Brouage
et son cousin lui demande de surveiller les agissements de Nicolas Fouquet à
Belle-Île. Son rapport indiquant que Fouquet y entretient une garnison de 200
hommes est un des éléments qui pousseront le roi à se débarrasser de son
ministre quelques semaines plus tard.
Sa
situation était très particulière car la superficie des quatre élections dans
lesquelles il exerçait ses fonctions dépassait notablement les limites du
gouvernement de Brouage et deux d’entre elles, Marennes et Saintes, faisaient
partie de la généralité de Bordeaux et les deux autres, La Rochelle et les
Sables, de celle de Poitiers. Il n’était ni intendant de généralité ni maître
des requêtes et, de ce fait, certaines attributions lui échappaient. La bonne
harmonie de cet arrangement particulier dépendait d’une entente parfaite entre
Colbert de Terron et les intendants en titre. Colbert en fit son affaire, changeant
en octobre 1658 les deux intendants en place par des parents entièrement à sa
discrétion. Le gouvernement du Cardinal était alors occupé et encadré par des
intendants cousins de Colbert à divers degrés ; Mazarin y trouvait son
compte, et Colbert aussi.
Jean-Baptiste
Colbert (1619-1693)
Musée des châteaux de
Versailles et du Trianon
On peut
noter qu’en 1662, il est chargé d’une
enquête au sujet de l’exercice de la religion réformée, dans le temple
d’Ozillac dont il rend compte le 1er mars 1664 : Charles Colbert du Teron, conseiller
ordinaire du roi en ses conseils, intendant de la justice, police et finances,
ès ville et gouvernement de La Rochelle et Brouage, commissaire député par le
roi, dans la Xaintonge, pour
informer des contraventions et innovations faites à l'édit de Nantes et à
celluy de mil six cent vingt-neuf, et
autres déclarations, expédiées en conséquence, recepvoir et entendre les
plaintes des subjetz de sa majesté, tant catholicques que de la religion
prôtandue réformée (…). Il était, en 1666, commissaire député pour
l’exécution de l’Edit de Nantes en Aunis, Saintonge et les colonies.
En
1666, pour contrecarrer la toute puissance maritime anglaise, Louis XIV et son
ministre Jean-Baptiste Colbert, veulent réaliser un arsenal maritime comparable
à ceux de Toulon et de Brest, avec la construction de vaisseaux le long de la
Charente. Plusieurs sites sont envisagés, dont le port de Brouage ; mais
ce denier s'enlise irrémédiablement depuis quelques temps.
A
cette époque Colbert, qui avait la courtoisie d’offrir des postes importants à
sa parenté [1], s’appuya
sur son cousin germain, Charles COLBERT du TERRON,
qui
était gouverneur de Brouage depuis 1653, possédait depuis peu la charge d’intendant
général des armées navales du Ponant et qui, pendant une douzaine d’années, avait
fait des efforts pour rendre la vie au port de Brouage, sans succès ; ces
efforts lui avait fait acquérir une excellente connaissance des marais
maritimes, ce qui lui sera d’une grande utilité par la suite.
Colbert
de Terron conduisit une commission chargée de visiter les sites susceptibles de
pouvoir abriter un grand port de guerre. L’archipel saintongeais est préféré à
Brest et Port-Louis. Sur les côtes charentaises, La Rochelle n’apparaît pas
sûre politiquement, Brouage est envasée, l’estuaire de la Seudre est trop
étroite et la navigation y est délicate. Les sites de Soubise et
Tonnay-Charente sont d’abord envisagés mais leurs seigneurs, de Rohan et de
Mortemart, ne sont pas prêts à vendre.
Comme
le raconte Saint-Simon [tome 5 de ses Mémoires], Charles fit donc choisir
Rochefort : « Colbert du
Terron, intendant de marine à la Rochelle, qui, ayant voulu acheter Rochefort
et le seigneur s'étant opiniâtré à ne le point vouloir vendre, de dépit y
voulut être plus maître que lui. Il persuada à la cour, où son nom alors
l'appuyait fort, que c'était le lieu du monde le meilleur pour en faire un
excellent port et le plus propre aux constructions des navires. On le crut, on
y dépensa des millions. Du Terron, par ce moyen, devint le maître et le tyran
du lieu et du seigneur qui n'avait pas voulu le lui vendre. » Et puis le propriétaire
du site de Rochefort, Henri de Cheusses, étant protestant et inconnu à la cour,
il fut facile à exproprier.
Pour
superviser l’avancement des travaux, Colbert y envoie son cousin, qui doit
faire vite, beau et bien et s’est
trouvé dans l’obligation de construire une ville nouvelle avec, entre autres,
un arsenal, une corderie, et de la peupler. C’était une œuvre de grande ampleur
et malgré des difficultés compréhensibles (zones humides, terres meubles,
manque de moyens), le projet se concrétisa et l’agglomération connut une rapide
expansion. On lance le chantier de la corderie royale. Les travaux sont achevés
en 1670. Les habitations, d'abord en bois, sont vite remplacées par de la
pierre. La ville connaît un accroissement fulgurant de sa population. En 1671,
elle compte déjà 20 000 habitants, la plupart travaillant pour les arsenaux.
Dès 1669 la première forme de radoub, principalement destinée à la réparation
navale, est achevée. Les premiers canons sortent de la fonderie cette même
année. Au printemps 1670, neuf grands corps de vaisseaux sont sur les
chantiers. Colbert se rend sur le chantier le 16 avril 1671 et repart
rassuré : les constructions sont chères mais solides ; il pourra
faire taire les rumeurs malveillantes circulant à la cour.
Afin
d’obtenir au meilleur marché possible des marchandises pour l’arsenal,
l’intendant cherche à organiser des foires mais ce n’est qu’en 1673 qu’on
décide d’appliquer les patentes de 1599 octroyant trois foires.
Il
avait faire venir en 1669 des capucins de Tonnay-Charente, comme prédicateurs
et confesseurs. Pour les loger, il fit construire un couvent dont la première
pierre est posée en 1673 mais qui ne sera achevé qu’après son départ en 1674.
En effet, dès mai 1673 Charles parle de
quitter la place car il souffrait de nombreuses indispositions. Il a obtenu un
congé qu’il a passé en Champagne, tout en se tenant au courant des affaires de
Rochefort. En novembre, il est encore tombé malade et a demandé à être rappelé.
Il était pourtant encore en service en 1674, dirigeant de sa chambre les
travaux de défense contre les Hollandais. Il quitte définitivement Rochefort le
15 août 1674. En octobre, le roi lui fait parvenir un brevet de pension de
4.000 livres, pour « les longs services » qu’il a rendus « en
qualité d’intendant général de la Marine de Ponant, dans le rétablissement de
ses forces maritimes, où il a travaillé pendant vingt-trois années entières,
fait bâtir tous les magasins de l’arsenal de Rochefort, plus de quatre-vingts
vaisseaux de guerre, et a servi Sa Majesté pendant tout ce temps avec tout le
zèle et la capacité nécessaires pour faire réussir un si grand dessein ».
Que pourrait-on ajouter à cet éloge mérité du fondateur de l’arsenal et de la
ville de Rochefort ?
La corderie royale de Rochefort
Joseph
Vernet, musée de la Marine à Paris
Les travaux
de Rochefort n’empêchaient pas Charles Colbert de Terron d’assurer les autres
obligations de sa charge. Ainsi, dès cette époque, le littoral charentais sert,
sous sa direction, de terrain d’expérience pour la mise en place du système des
classes [2].
Un
pouvoir daté de La Rochelle le 25 juin 1666 donné par mademoiselle de Nemours
d’Aumale au duc de Vendôme, son oncle, de la marier avec le roi du Portugal et
le prendre en son nom pour mari, cite parmi les témoins M. Colbert de Terron, conseiller ordinaire du roy en ses conseils,
intendant de la justice, police et finance, et de la marine du Ponant et des
gouvernemens de La Rochelle, Broüage, et isles de Xaintonge. On sait qu’il
prépara huit vaisseaux pour porter mademoiselle de Nemours au Portugal.
En 1664 la « Déclaration du Roi portant établissement d’une compagnie pour le commerce
des Indes orientales » imaginée par Colbert, fut donnée à Vincennes au
mois d’août et enregistrée au Parlement le 1er septembre. Pour
amener les présidents et trésoriers généraux de France à s'intéresser à la Compagnie des Indes Orientales, Colbert invoque cet argument que "le principal dessein d'un si grand establissement estant de porter les lumières
de l'Évangile en ces pays éloignés",
c'est un devoir chrétien d'y entrer. Pas plus que les conseillers, les
marchands n'y voulurent entrer. Charles
Colbert de Terron,
qui en sera un des administrateurs, dans un rapport daté du 12 février 1664,
écrit à ce sujet : J’ay receu vos deux
depesches du 4me de ce mois, Par l'une desquelles j'ay apris le dessein que
vous avies de former une compagnie pour les Indes orientalles, et que
vous desirez que je m'employe a porter
les principaux negocians de ce pais et de bord a s'intéresser dans cette
compagnie. C'est a
quoy je vais travailler avec peu
desperance de succès, pour ce que nos
negocians n'ont pas assez de force pour
entrer dans des affaires qui ne leur sont pas bien conneues, et de plus ilz ne peuvent estre
guéris que très difficilement de la
crainte qu'ilz ont des hollandois…Charles se rendit avec Mazarin à
Port-Louis, en Bretagne, le 19 octobre 1665 et en mai suivant une déclaration
royale autorisait la compagnie des Indes Orientales à s’établir au Port-Louis.
Un vaisseau de son nom, le Terron, de 350 tonneaux, 24 canons, fut armé à La
Rochelle le 14 mars 1666 pour participer à la première escadre vers les Indes
Il fut abandonné à Pernambouceau l’été suivant car « il faisait eau. »
Une lettre de Le Tellier au duc de Navaille
[gouverneur de l’Aunis et de La Rochelle], datée de Saint-Germain-en-Laye le 18
mars 1666 précise ceci : Ceux qui
vous disent que M. Colbert a de l'aversion pour vous sont mal informés de ses sentiments ; il parle en toute rencontre fort bien de vous à S. M., et
pour l'y obliger de plus en plus, il est de votre prudence de continuera bien vivre avec M. du Terron [alors
intendant de l’Aunis]: c'est un
homme dont les services sont fort agréables à S. M., qui a sa confiance sur
diverses affaires qui concernent l'emploi qu'elle lui a confié.
On lui
doit la fondation, en 1667, de l’hôpital Saint-Louis de La Rochelle.
Dans la
narration d’un voyage à Bordeaux en 1669, Claude Perrault raconte sa visite à
Rochefort et précise : « Monsieur
Colbert de Terron, intendant de la province et qui a la direction de cet
ouvrage [l’arsenal], nous retint et nous régala avec toute l’honnêteté et toute
la civilité imaginable, et nous fit voir fort exactement tout ce qu’il y a
exécuté de ce grand dessein qui nous surprit et nous parut tout à fait royal,
car il y a plus de deux mille ouvriers qui y travaillent. Nous fûmes d’abord à
la corderie, qui est une pièce qui est achevée et dans laquelle les ouvriers
travaillent actuellement. C'est un bâtiment qui a 120 toises de long, ayant
deux grands pavillons aux bouts et un au milieu. Les corps de logis qui sont
joints par ces pavillons ont quatre toises de large ; dans l'étage du dessus
sont les moulins pour la filure. Les râteaux qui soutiennent les fils sont fort
creux, en sorte qu'ils n'empêchent point de passer pour peu qu'on baisse la
tête, mais il faut prendre garde à ses cheveux, autrement ils sont en danger
d'être employés à tenir les ancres des navires ou d'être condamnés aux galères.
Dans l'étage de dessous, on assemble les petits cordons qui ont été faits dans
celui d'en haut et on en compose les gros câbles. Nous y en vîmes de 22 pouces
de tour. Dans un des pavillons du bout, sont les ouvriers qui apprêtent le
chanvre, et dans l’autre est l’étuve et la chaudière pour goudronner les
câbles. L'étuve est une petite chambre bien close dans laquelle on met les
câbles bien couverts de toiles, ayant dessous son plancher un fourneau qui
échauffe avec un feu lent, ce qui rend les câbles de durs et de roides qu'ils
étaient fort souples et fort maniables et qui les dispose à être pénétrés et
plus facilement imbus par le goudron qu’on fait chauffer proche de l'étuve dans
une chaudière qui a neuf à dix pieds de long sur six ou sept de large. Au
dessus de la chaudière. il y a un moulinet qui tire le câble par le bout qui a
premièrement trempé dans la chaudière et le dévide petit à petit, à mesure
qu'il est tiré de l'étuve d'où il descend dans la chaudière et remonte sur le
moulinet. »
Sur une
procuration du 4 novembre 1673, il est qualifié marquis de Bourbonne, conseiller ordinaire du roi en ses conseils,
intendant général de la marine du Ponant et commissaire départi pour
l'exécution des ordres du roi dans les gouvernements de Brouage, La Rochelle,
pays d'Aunis et îles adjacentes. On sait qu’en cette même année son mauvais
état de santé, du à la goutte et à la fièvre, rendit plus difficile la levée
des équipages dans cette région et l’administration de Rochefort , comme
nous l’apprend ce passage d’une lettre de Colbert à Desclouzeaux : « Le désordre que je trouve dans le
port de Rochefort par l'augmentation prodigieuse de dépenses ne se trouve en
aucun des autres ports et comme les fréquentes maladies de M. de Terron ont
empesché d'y avoir l'application nécessaire, et que pendant ses maladies et ses
absences, cela vous regarde, vous devez prendre garde que j'aye plus de
satisfaction à l'avenir sur ce point que je n'en ay eu par le passé. »
Ville fortifiée de
Brouage où résidait Charles de Terron et où fut exilée Marie Mancini, nièce de
Mazarin, aimée de Louis XIV.
Le 14 septembre
1659, aux bruits des salves d’artillerie et des cloches de la petite église
qui sonnaient à toute volée, un carrosse pénétrait dans Brouage, par la porte
de Rochefort et s’arrêtait devant l’hôtel du gouvernement. Le gouverneur
[Charles Colbert de Terron] et ses officiers, chapeaux bas, s’inclinaient
respectueusement devant quatre belles dames qui venaient de La Rochelle. C’étaient rois nièces du cardinal
Mazarin : Marie, Hortense et Marianne, escortées de leur gouvernante,
Madame de Venel. Dans l’entourage du gouverneur, on murmurait que c’était la
raison d’état qui avait déterminé la décision du cardinal et l’exil de ses
nièces … Marie restera à Brouage jusqu’au 30
décembre. Elle avait en Charles Colbert de Terron un serviteur tout à sa
dévotion qui lui faisait des visites fréquentes et des conversations fort longues et fort secrètes. |
Marie Mancini par
Jacob Ferdinand Voet |
On
retrouve Charles Colbert de Terron lors du baptême de son petit-fils et filleul
Charles de Gassion, le 4 septembre 1674 dans l’église Saint-Martin de Pau, il
est alors qualifié intendant général de
la marine.
En 1675
il est intendant de la marine sur la
flotte et en Sicile. Une lettre de Louvois au duc de Vivonne, datée de
Saint-Germain en Laye le 13 mars 1676, dans laquelle il montre son opposition à
l’occupation de Messine et critique l’administration de Vivonne, précise :
Sa Majesté m'a commandé de vous faire
savoir qu'elle désire que, de concert avec vous, M. Colbert de Terron fasse
d'amples mémoires sur tout ce que dessus, et qu'il les lui envoie avec des
copies des provisions de chaque officier, en telle sorte que quand vous aurez
occasion de lui parler, soit de la cour stradigozialle ou de quelque autre
tribunal, soit de quelque officier, Sa Majesté sache précisément ce dont on lui
voudra parler, ou ce que l'on désirera d'elle … » En 1677, Louvois, qui s’appliquait à entraver la
réussite des affaires de Sicile, et dans l’espoir de causer un vif déplaisir à
Vivonne, fit rappeler en France Colbert
de Terron, intendant de l’armée de Sicile, qui parent et fort des amis de
Colbert et de Seignelay [fils de Colbert], était tout à la dévotion du vice-roi.
En
1678 Charles se verra donner une charge de conseiller d’État et sera membre du
conseil de la Marine.
Charles
Colbert de Terron mourut le 9 avril 1684, rue Saint-Dominique à Paris. Il avait
épousé en 1650 Madeleine Hennequin, fille de Michel, receveur général des
finances de Champagne, et de Françoise Pussort. Il n’avait laissé que quatre
filles, et la branche aînée de la famille Colbert s’éteignit dès le
commencement du XVIIe siècle. L’une des filles, Marie-Anne, épousa en premières
noces, en juin 1685, François du PRAT, comte de Barbançon,
marquis de Cany, premier maître d’hôtel du duc d’Orléans et en secondes noces,
en juin 1699, Hyacinthe THOMAS, seigneur de la Caunelaye et de la Ribaudière, capitaine aux
Gardes créé maréchal des camps en 1704 et gouverneur de Belle-Ile, mort en 1717
[3] et dont
nous descendons. Il y avait dans la cheminée du cabinet actuel du maire de
Rennes une belle plaque de fonte figurant deux écussons ovales accolés, timbrés
d’une couronne ducale et soutenus par un lion et une licorne. Le premier
écusson est aux armes de Hyacinthe Thomas de la Caunelaye : d’or à la bande engrêlée d’azur ;
le second aux armes de Marie-Anne Colbert de Terron : d’or à une couleuvre d’azur posée en pal [4]. Il
serait intéressant de connaitre l’origine de cette couronne ducale !
L’Arsenal de Rochefort en 1690
En
1670 le grand COLBERT, confie à son cousin germain Charles
Colbert du Terron, son fils aîné âgé de 19 ans, Jean-Baptiste Antoine, dit Seignelay, marquis de Seignelay et de
Châteauneuf-sur-Cher, baron de Lignières, plus tard son successeur au
Secrétariat d’État à la Marine, en vue de lui apprendre son futur métier.
Avec le stagiaire, Charles reçoit de son
cousin un Mémoire pour mon fils sur ce
qu’il doit observer pendant le voyage qu’il va faire à Rochefort :
Estant
persuadé comme je le suis qu’il a pris une bonne et ferme résolution de se
rendre autant honneste homme qu’il a besoin de l’estre, pour soutenir
dignement, avec estime et réputation, mes emplois, il est surtout nécessaire
qu’il fasse toujours réflection et s’applique avec soin au règlement de ses
mœurs, et surtout qu’il considère que la principale et seule partie d’un
honneste homme est de faire toujours bien son debvoir à l’égard de Dieu,
d’autant que ce premier devoir tire nécessairement tous les autres après soi,
et qu’il est impossible qu’il s’acquitte de tous les autres s’il manque a ce
premier. Je crois lui avoir assez parlé sur ce sujet en diverses occasions pour
croire qu’il n’est pas nécessaire que je m’y estende davantage ; il doibt
seulement bien faire réflection que je lui ay cy-devant bien fait connoistre
que ce premier debvoir envers Dieu se pouvoit accommoder fort bien avec les
plaisirs et les divertissements d’un honneste homme en sa jeunesse.
Après ce
premier debvoir, je désire qu’il fasse souvent réflection à ses obligations
envers moi, non-seulement pour sa naissance, qui m est commune avec tous les
pères, et qui est le plus sensible lien de la société humaine, mais mesme pour
l’élévation dans laquelle je l’ai mis, et par la peine et le travail que j’ai
pris et que je prends tous les jours pour son éducation, et qu’il pense que le
seul moyen de s’acquitter de ce qu’il me doibt est de m’aider à parvenir a la
fin que je souhaiste, c’est à dire qu’il devienne autant et plus honneste homme
que moi s’il est possible, et qu’en y travaillant comme je le souhaiste il
satisfasse en même temps à tous ses debvoirs envers Dieu, envers moi et envers
tout le monde, et se donne en même temps les moyens sûrs et infaillibles de
passer une vie douce et commode, ce qui ne se peut jamais qu’avec estime,
réputation et règlement de mœurs.
Après ces
deux premiers points, et pour descendre aux détails de ce qu’il doibt faire
pendant son voyage, je désire qu’il commence incessamment la lecture des
ordonnances de marine, qu’il trouvera dans Fontanon, Conférence des ordonnances
et ordonnances de 1629 ; qu’il emporte avec lui les traités de Clairac, et
lise promptement celui des termes maritimes ; et que dans le voyage il s’instruise
toujours de la marine avec M. de Terron, affin qu’il ne soit pas tout à
fait neuf en cette matière lorsqu’il arrivera à Rochefort ; et je désire
que pendant le séjour qu’il y fera, il emploie toujours trois heures du matin à
l’étude, c’est-à-dire à la lecture dans son cabinet de tout ce qui concerne la
marine ; et même quelquefois, pour changer de matière, qu’il poursuive la
lecture des traités que je lui ai fait faire sur toutes les plus importantes et
plus agréables matières de l’Estat.
Aussitost
qu’il sera arrivé, il doibt faire une visite généralle de tous les vaisseaux et
de tous les bâtiments de l’arsenal ; qu’il voie et s’instruise
soigneusement de l’ordre général qui s’observe pour faire mouvoir une si grande
machine.
Qu’il
interroge avec application sur tout ce qu’il verra affin qu’il puisse acquérir
les connaissances générales, pour descendre ensuite aux particulières.
Qu’il se
fasse montrer le plan général de toute l’estendue de l’arsenal, tant des
ouvrages faits que de ceux qui sont à faire, et sache la destination de chaque
pièce différente, en voye la forme et la figure, et en scache donner les
raisons ; qu’il écrive de sa main les noms de tous les vaisseaux bâtis, et
de ceux qui sont encore sur les chantiers, et l’estat auquel il les trouvera,
et en même temps une description de tout l’arsenal contenant le nombre des
différentes pièces et de leur usage particulier.
Ensuitte
il fera la liste des officiers qui servent dans le port, depuis l’intendant
jusqu’au moindre officier, et s’en fera expliquer les moindres fonctions dont
il fera le mémoire.
Après
avoir pris ces connaissances généralles, il descendra au particulier. Pour cet
effect, il commencera par la visite du magasin général, laquelle il fera avec
le garde magasin et le controlleur ; verra l’inventaire général et en fera
s’il est possible un recollement ; c’est-à-dire qu’il se fera représenter
toutes les marchandises et munitions qui y sont contenues pour voir sy elles
sont en la quantité et de la qualité nécessaires, sur quoi il se fera toujours
informer. Il pourra mesme juger si le garde magasin et le controlleur font bien
leur debvoir, en voyant si le magasin est propre et bien rangé et si tout est
en bon ordre, et s’il se tient un livre d’entrées et issues, qui est absolument
nécessaire pour le bon ordre.
Après
avoir veu et examiné le magasin général, il visitera le magasin particulier des
vaisseaux, dont il se fera représenter l’inventaire, les examinera et en fera
le recollement comme ci-dessus ; et par ce moyen pourra bien connoistre la
quantité et qualité des marchandises nécessaires dans le magasin général pour
l’armement d’un aussi grand nombre de vaisseaux que celui que le Roy a en mer,
et pareillement tout ce qui est nécessaire pour mettre en mer un seul vaisseau.
Ensuitte
il visitera tous les atteliers des cordages, de l’estuve, des voiles, des
charpenteries, des tonnelleries, des calfateries, la fonderie, le magasin à
poudre, et généralement tous les ouvrages qui servent aux constructions, agrès
et apparaux des vaisseaux ; examinera de quelle sorte se font tous ces
ouvrages, et les différences des bonnes ou mauvaises manufactures, et ce qui
est à observer sur chacune pour les rendre bonnes et en état de bien servir.
Dans le
magasin général sont compris toute l’artillerie, tant de fonte que de fer, les
armes, mousquets, piques et autres de toutes sortes, ensemble toutes les
munitions de guerre.
Il
examinera ensuite les fonctions de tous les officiers du port, verra leurs
instructions et fera de sa main un mémoire de tout ce que chacun officier doibt
faire pour se bien acquitter de son debvoir, et prendra le soin de les voir et
les faire agir chacun selon sa fonction, pendant tout le temps qu’il séjournera
audit lieu de Rochefort.
Il
s’appliquera ensuite à voir et examiner la construction entière d’un vaisseau,
en verra toutes les pièces depuis la quille jusqu’au dernier baston de
pavillon, en écrira lui-même les noms et fera faire un petit modèle de vaisseau
qu’il m’enverra avec les noms de toutes les pièces escrits de sa main.
Après
avoir veu, examiné la construction entière d’un vaisseau, et avoir seu les noms
de toutes ses parties, il examinera encore l’esconomie entière de tous les
dedans, et l’usage de toutes les pièces qui y sont pratiquées.
Il verra
placer toutes les denrées, marchandises, armes, artillerie, agrès et apparaux
nécessaires pour mettre un vaisseau en mer, en fera lui-même le détail,
l’escrira de sa main et prendra le soin d’en faire charger et le mettre en cet
état, et pour cet effet, s’il arrive assez à temps, il pourra prendre un des
vaisseaux que M. le vice-admiral doit commander ; sinon il prendra le
Breton qui doit estre préparé pour le voyage des Grandes Indes.
Et en
même temps qu’il s’appliquera à connoistre les noms de toutes les parties qui
servent a la construction d’un vaisseau, et de toutes celles qui sont
nécessaires pour le mettre en mer, il se fera informer de l’usage de chacune
pièce, et de toute la manœuvre d’un vaisseau, et de tout ce qui sert au
commandement et à la dite manœuvre. Pour cet effect, il pourra la faire faire
devant lui, soit dans le port, soit en montant sur les vaisseaux et allant deux
ou trois lieues en mer pour voir le tout ; et en un mot fera en sorte par
son application qu’il puisse scavoir le mestier de tous les officiers de
marine, tant en mer qu’en terre, pendant le séjour qu’il fera au dit lieu de
Rochefort ; en sorte que non seulement il puisse en bien parler, mais même
qu’il puisse s’en souvenir pendant toute sa vie, et apprendre à donner bien ses
ordres à tous les officiers qui auront à agir.
Pour
parvenir à cette fin, il ne faut pas se contenter de voir et examiner une seule
fois ce que je viens de dire, mais il faut le répéter et faire souvent la même
chose, parce qu’il n’y a que cette répétition fréquente, mesme avec une grande
application, qui puisse imprimer les espèces dans l’esprit et dans la mémoire,
ensorte qu’elle se les représente fidellement toutes les fois que l’on en a
besoin.
Il doit
encore s’informer et savoir parfaitement toutes les fonctions des officiers
d’un vaisseau, lorsqu’il est en mer, scavoir du capitaine, du lieutenant, de
l’enseigne, du maistre, du contre-maistre, pilote, maistre-charpentier,
maistre-voilier, maistre-calfat et maistre-canonnier, et combien d’hommes
chacun d’eux commande et quelles sont leurs fonctions ; et générallement
de tout ce qui s’observe pour la conduite d’un vaisseau, soit dans un voyage,
soit dans un combat.
Il lira
avec soin tous les règlements et les ordonnances qui ont été faites et données
dans la marine depuis que j’y travaille, ensemble mes lettres et les
réponses ; affin qu’il tire par tous ces moyens la connaissance parfaite
et profonde qu’il est nécessaire d’avoir pour se bien acquitter de sa
charge ; et pour le faire avec la satisfaction du Roy et le bien et l’advantage
du royaume.
Il sera
en même temps nécessaire qu’il apprenne l’hydrographie et le pilottage, affin
qu’il sçache les moyens de dresser la route d’un vaisseau, et qu’il estudie
aussi la carte marine.
Après
avoir dit tout ce que je crois nécessaire qu’il fasse pour son instruction, je
finirai par deux points. Le premier est que toutes les peines que je me donne
sont inutiles, si la volonté de mon fils n’est eschauffée et qu’elle ne se
porte d’elle-même à prendre plaisir à faire son debvoir ; c est ce qui le
rendra lui-même capable de faire ses instructions, parce que c’est la volonté
qui donne le plaisir à tout ce que l’on doibt faire et c’est le plaisir qui
donne l’application. Il sait que c’est ce que je cherche depuis si longtemps.
J’espère qu’à la fin je le trouveray et qu’il me le donnera, ou, pour mieux
dire, qu’il se le donnera à lui mesme, pour se donner du plaisir et de la
satisfaction toute sa vie, et me payer avec usure de toute l amitié que j’ai
pour lui et dont je lui donne tant de marques.
L’autre
point est qu’il s’applique sur toutes choses à se faire aimer dans tous les
lieux où il se trouvera et par toutes les personnes avec lesquelles il agira,
soit supérieures, égales ou inférieures ; qu’il agisse avec beaucoup de
civilité et de douceur avec tout le monde, et qu’il fasse en sorte que ce
voyage lui concilie l’estime et l’amitié de tout ce qu’il ya de gens de
mer ; en sorte que pendant toute sa vie ils se souviennent avec plaisir du
voyage qu’il aura fait et exécutent avec amour et respect les ordres qu’il leur
donnera dans toutes les fonctions de sa charge.
Je désire
que toutes les semaines il m’envoye, escrit de sa main, le mémoire de toutes
les connoissances qu’il aura prises sur chacun des points contenus en cette
instruction.
Sources principales :
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Lien de parenté :
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Charles Colbert de Terron (1628-1684) Marie-Anne Colbert de Terron (1664-1719) Hyacinthe Thomas de la Caunelaye (+1312) Hyacinthe Thomas de la Caunelaye (+1345) Jeanne Françoise Thomas de la Caunelaye (1750-1822) Louise du Bot du Grégo (1770-1826) Charles Félix d’Amphernet de Pt Bellanger (1788-1827) Michel d’Amphernet de Pt Bellanger (1788-1827) Marthe d’Amphernet de Pt Bellanger (1856-1936), Yvonne O’Mahony (1885-1965) Monique Bougrain (1912-1968) Dominique Barbier |
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[1] Si
jamais ministre eut quelque droit à faire participer les siens aux avantages de
sa position, à les associer à sa fortune, ce fut Colbert. On a vu par sa lettre
à Mazarin ce qu'il avait fait pour ses frères du vivant même du cardinal. L'un
d'eux, Nicolas Colbert, fut nommé évêque de Luçon en 1661, puis d'Auxerre, où
il mourut en 1676. Le marquis de Croissy, ambassadeur en Angleterre pendant
plusieurs années, devint plus tard ministre des affaires étrangères. Son
troisième frère, François Colbert, comte de Mauleuvrier, fut chargé d'un
commandement important dans l'expédition de Candie. Je ne parle pas de son
cousin Colbert du Terron, intendant de marine à Rochefort, et de plusieurs
autres membres de sa famille auxquels il confia de hauts emplois. (Histoire
de la vie et de l’administration de Colbert par Pierre Clément)
[2] Il s’agit de recenser par paroisses
tous les gens de mer et de les classer afin de servir sur les bâtiments de la
Royale un an sur trois. Ce service militaire révolutionnaire, accompagné d’un
volet social (solde, pension pour les invalides et les veuves) signifie une
administration serrée (Histoire du Poitou et des pays charentais de Jean
Combes).
[3] Dans son Recueil général des généalogies historiques des maisons nobles de ce
royaume, tome XI, Saint Allais se trompe en donnant Jean Thomas (cousin de
Hyacinthe) comme mari à Marie-Anne.
[4] Le vieux
Rennes, article de Paul Banéat paru dans le Bulletin et Mémoires de la Société
archéologique du département d’Ile et Villaine – 1906 (36).